La peine d’autrui

 

 

Puis-je voir la peine d’autrui

Et ne pas être aussi dans la peine ?

Puis-je voir le chagrin d’autrui

Sans chercher à le soulager ?

 

Puis-je voir tomber une larme

Et ne pas ressentir ma part de peine ?

Un père peut-il voir pleurer son enfant

Sans être lui-même plein de tristesse ?

 

Une mère peut-elle rester assise lorsqu’elle entend

Un tout petit gémir son enfantine peur ?

Non, non, cela ne peut pas être ;

Non, non, cela ne peut pas être.

 

Et peut-il, Celui qui sourit à tous,

Ouïr le roitelet et ses petits chagrins,

Ouïr du jeune oiseau les soucis et les peines,

Ouïr les gros chagrins que portent les enfants ;

 

Peut-il ne pas venir s’asseoir près de leur nid,

Leur versant sur le cœur douce compassion ;

Peut-il ne pas venir s’asseoir près des berceaux,

Mêlant ses pleurs aux larmes des enfants ;

 

Peut-il ne pas rester près de nous jour et nuit,

Essuyant et séchant nos larmes ?

Non, non, cela ne peut pas être,

Non, non, cela ne peut pas être.

 

À tous il donne son bonheur,

Il se fait tout petit enfant,

Il se fait homme de douleur,

Il prend part à tous nos chagrins.

 

Ne crois pas que jamais tu pousses un soupir

Sans avoir près de toi ton Créateur ;

Ne crois pas que jamais tu verses une larme

Sans avoir près de toi ton Créateur.

 

Oh ! Il nous donne sa joie

Afin d’anéantir notre douleur ;

Jusqu’à ce que notre douleur soit dissipée,

Il est assis auprès de nous et il gémit.

 

 

 

William BLAKE.

 

Recueilli dans Les romantiques anglais,

traduction de Pierre Messiaen,

Desclée De Brouwer, 1955.

 

 

 

 

 

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