Campagne blanche

 

 

La neige tombe. Tout est blanc,

Les montagnes et les vallées,

Et les forêts échevelées...

Le pied s’avance, tout tremblant,

Sur des routes immaculées.

 

Les fermes, les lointains clochers

Vêtent des robes floconneuses,

Et sur les vagues limoneuses

L’écume, à l’entour des rochers,

Se change en perles lumineuses.

 

Étendant leurs voiles de lin

Sur la ville et ses toits infimes,

Les anges descendus des cimes

Ont-ils préparé le chemin

De leurs processions sublimes ?

 

Dans cette splendeur de Thabor,

L’âme pure à l’aise respire.

Sur nos sentiers elle soupire,

Mais cet indicible décor

Semble inaugurer son empire.

 

Tombe, neige, en flocons épais,

Plus ta délicate avalanche

S’épand mystérieuse et blanche,

Plus l’immense et sereine paix

Sur la terre entière s’épanche !

 

Tombe, neige, sur les hauts monts !

Tombe sur l’ornière profonde

Où se débat notre vieux monde.

Cache du pied noir des démons

La trace à jamais inféconde !

 

Tombe !... au sol la fertilité

Naît sous ta couche éblouissante ;

Laisse que l’âme humaine sente,

Doux mystère de pureté,

Ta splendeur idéalisante !

 

Trop tôt la blancheur d’horizon

Qui calme tout l’être et l’allège

S’en ira. Délicieux piège,

Viendra la brûlante saison...

Gardons au cœur la blanche neige !

 

 

 

Paul BLANCHEMAIN.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

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