L’amoureuse
Sur la haute montagne habitait la princesse.
Au-dessus de la tour, les nuages répandaient la fumée de leurs rêves transparents.
À l’aube, et dans sa lourde armure, le sombre chevalier soupirait d’amour,
À l’heure où le Rhin sort de son lit.
Au-dessus des fossés déjà verts coulait le printemps rose.
L’Infini guettait dans l’azur une borne lointaine.
L’Amour appelle ; comment quitter la fenêtre
Et ne plus regarder la face aux traits fatals, et comment s’arracher au rêve de clarté ?
Elle chuchotait : « Relève cette rose. » Et le vent a porté
Le silence et l’envol de l’armure, réponse inanimée.
Dans le ciel bleu du matin, tu verras ce buisson de roses
Écloses. Il a chuchoté, murmuré. Éblouissant, il prit son vol, suivi de l’amoureuse.
Derrière le nuage voguait la chantante lueur des ténèbres.
L’Amour, hélas ! dans sa poursuite, a oublié son bouclier.
Voici que les ailes ont poussé ; la princesse s’est enfuie
De la prison de son père. Elle hâte son vol sur les chemins aériens.
Déjà s’est glissé le brouillard dans les rochers fendus ; les cors rassemblent les troupeaux.
La brume secrète a étendu ses manteaux et croisé ses épées.
Le silence de l’eau reflète la tristesse du soir
Et les rayons se sont éteints sur la forêt.
Dans les lointains, la bataille des seigneurs ne s’est pas apaisée,
Querelles ancestrales sur l’étendue des terres.
Mais le sort est variable ; ici la rêverie des serfs,
Et là l’ivresse aérienne des amants.
À ton appel, la princesse, à jamais, s’est envolée dans les voiles de l’azur.
Ô amour, tu es plus sévère que le destin,
Plus tyrannique que les vieilles lois de nos pères,
Plus captivant que le son des trompettes de la guerre.
Alexandre BLOK, Poésies, II.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe
du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert
et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.