Le fils et sa mère
Le fils fait le signe de la croix,
Le fils a quitté la maison paternelle.
Il y a une joie tout en or
Dans les chansons de la mère abandonnée :
« Pourvu qu’il rentre au moins glorieux !
Pourvu que je puisse supporter la joie ! »
On entend marcher le fils dans la brume.
Le voici dans son aveuglante armure !
Il a confié son esprit aux habitants du ciel,
Son cœur à notre mère la terre.
Les coqs chantent les matines,
La nuit s’enfuit, épouvantée.
Le cor enroué des brouillards du matin
Sonne dans son dos.
Dans les prairies se sont levées
Les boucles enchevêtrées des mousses.
Des regards de hiboux
Visent un vol de nuages...
Voici, dans un clair nuage, mon fils,
Casqué d’aurore matinale !
Il ordonne une pluie de flèches pointues
Sur les bois de pins, sur les terrains vagues.
Il souffle de l’azur du ciel
Un vent de purification.
Le fils a jeté son épée pernicieuse,
Il a ôté son casque.
De sa poitrine transpercée
Se répand le sang et la sublime louange :
Salut à toi, lointain libéré
Des obscurs brouillards de la nuit !
Il y a une joie tout en or
Dans le cœur de la mère abandonnée.
Voici mon fils... ensanglanté.
Pourvu que je puisse supporter la joie !
Le fils n’a pas oublié sa mère,
Le fils est rentré pour mourir.
Alexandre BLOK, Poésies, vol. II.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe
du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert
et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.