Le fils du bûcheron
BALLADE.
Mon père est dans le bois, assis sous le feuillage.
Il repose son bras des longs travaux du jour :
Chez nous grand’mère file attendant son retour.
Moi, je voudrais grandir dans mon riant village
Pour soutenir, aider, mon père en son vieil âge,
Pour éloigner de lui le besoin, les regrets,
Quand il ne pourra plus venir dans nos forêts.
Oh ! quelquefois j’ai peur quand je porte à mon père
Du pain noir, puis du lait de ma chèvre Fleuron.
Ma foi, je ne veux pas me faire bûcheron
Pour mourir par les ours comme mon oncle Pierre ;
Et j’aime cependant le sentier solitaire
Où je respire, heureux, les parfums les plus frais.
Oh ! qu’il fait bon l’été, l’été dans les forêts !
Oui, je veux être gai comme l’oiseau qui vole
Et sait se faire un nid sous les feuilles d’ormeaux.
Je veux chanter, danser sur les bords des ruisseaux...
Mais qu’entends-je là-bas ? – Ah ! c’est la brise folle
Qui porte, en se jouant, ma tremblante parole
À l’écho du rocher qui la répète après.
Oh ! qu’il fait bon l’été, l’été dans les forêts !
J’ai quitté le village au lever de l’aurore :
Quand règne le soleil ici-bas tout est beau...
Déjà la nuit s’approche, et ce brillant flambeau
Descend, descend toujours. – Et je suis loin encore
Du village où m’attend mon ami Théodore,
Où je suis bien heureux, où tous les cœurs sont gais.
Oh ! c’est triste la nuit, la nuit dans les forêts !
Dans ces rudes sentiers que la nuit est épaisse !
C’est comme un manteau noir étendu sur le bois. –
J’entends geindre là-bas d’intraduisibles voix !...
Ayez pitié, mon Dieu, de ma frêle jeunesse :
Éloignez les follets, et je prierai sans cesse
Pour vous remercier du plus grand des bienfaits.
Oh ! c’est triste la nuit, la nuit dans les forêts !
Oh ! du moins si j’étais auprès de mon vieux père !
Déjà bien près l’ours gronde, – et l’ours est bien méchant.
Dieu ! s’il venait ici, que faire ! – Pauvre enfant ! –
Me cacher dans cet arbre ou bien sur cette pierre !
Mais il y peut monter ! – Mon Dieu ! mon Dieu que faire !...
Bon, – il s’en va plus loin, je n’aurai plus peur..... Mais
C’est bien triste la nuit, la nuit dans les forêts !
Un follet, deux follets glissent dans le feuillage.....
Les voilà, les voilà qui s’avancent vers moi !
Allons, il faut m’enfuir et vaincre mon effroi.
Par où ? – De ce côté ? – Non, non, vers le village ; –
Vers mon père allons vite..... Essoufflé, tout en nage,
Il découvre son père et va tomber auprès.
Oh ! c’est triste la nuit, la nuit dans les forêts !
Enfant, dit le vieillard, d’où te viennent ces larmes !
Dis, pourquoi pleures-tu ? – J’ai vu bien des follets
Courir dans la broussaille avec les farfadets ; –
L’ours aussi grommelait..... Colin, sois sans alarmes,
Ne crains rien près de moi : – Va, j’ai de bonnes armes,
Nous les repousserons s’ils viennent ici près.
Oh ! ne crains rien la nuit, la nuit dans les forêts !
Colin, je vins ici dès ma tendre jeunesse
Et n’ai jamais eu peur des follets ou des ours.
Mes prières au ciel s’élèvent tous les jours,
Et toujours le bon Dieu dans sa douce sagesse
Sût chasser de mon cœur la crainte et la paresse.
Bénissons-le, mon fils, révérons ses décrets
Lors même qu’il fait noir la nuit dans les forêts !
Casimir BLONDEAU.
Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.