Le rossignol
À Monsieur Victor Billaud.
– Doux rossignol, chantre ailé des bocages,
Ô coryphée inspiré du printemps,
Ton chant rêveur, courant sous les ombrages,
Force mon âme à méditer longtemps.
Qui donc créa ta fibre délicate
Au timbre clair, mélodieux, vibrant ?
Qui donc t’apprit l’amoureuse cantate
Que tout cœur d’homme écoute en soupirant ?
« C’est le grand Maître, auteur de l’harmonie,
Dans les grands bois vocalisait l’oiseau ;
Oui, c’est le Dieu de science infinie
Dans le lac bleu qui planta le roseau.
« N’est-ce pas lui qui souffle dans mon aile,
Quand l’aquilon a fait place au zéphyr ?
N’est-ce pas lui que mon hymne révèle
Quand il s’élance au plafond de saphir ?
« Sa douce main, sous les nocturnes voiles,
Berce les nids aux branches du buisson.
Je lis son œuvre au rayon des étoiles
Et je déroule avec feu ma chanson. »
« Ah ! si mon souffle, exaltant ces merveilles,
Peut s’accorder avec la lyre d’or,
J’irai le soir accompagner tes veilles,
Vers l’idéal quand tu prends ton essor !
« Lorsque Vénus à l’aube se dérobe
Devant le jour aux brillantes couleurs,
J’envoie à Dieu, de ce terrestre globe,
Mon dernier chant avec l’encens des fleurs.
« De son amour pour varier la gamme,
Lorsque tout dort sous le dôme des cieux,
Il m’a donné ma voix, écho d’une âme,
Pour éclater dans l’air silencieux. »
– Céleste rêve !... Oiseau, répète encore...
Relève-moi, lorsque je dormirai !
Chante celui que l’univers adore,
Qu’à mon réveil demain je bénirai !
Quand j’aurai vu tant d’êtres et de choses
S’anéantir sur des bords étrangers,
Tu chanteras, dans la saison des roses,
Le Dieu que j’aime à d’autres passagers.
Doux rossignol, chantre ailé des bocages,
Ô coryphée inspiré du printemps,
Ton chant rêveur, courant sous les ombrages,
Force mon âme à t’écouter longtemps.
Irma BLONDEL.
Paru dans Poésie, 11e volume
de l’Académie des muses santones, 1888.