Don Juan

 

 

                                        I.

 

                                Orgueil.

 

Je suis Don Juan, le roi de l’Amour et de l’or,

Mes yeux fourbes, brillant du faux éclat des lustres,

Ensorcellent jusqu’à la folie ou la mort

La passante inconnue et les femmes illustres.

 

En vain les noirs démons accumulent les lustres,

Je brave la menace et le temps qui me mord,

Je torture la fille et j’écrase les rustres,

Et, dans l’impunité tranquille, je m’endors.

 

Quand par hasard, devant mes nombreux attelages,

Passe un humble poète, au dos plié d’ennuis,

Un sourire apparaît sur mes lèvres volages,

 

Car, lorsque je le veux, en mes fiévreuses nuits,

Je sais apprivoiser les rimes roucoulantes

Et décrocher du ciel les étoiles tremblantes !

 

 

                                       II.

 

                                Amour.

 

La railleuse chanson plaît à mon cœur barbare,

La chanson qui supplie et tente tour à tour.

Done Elvire l’écoute, et sa pudeur s’’effare,

Mon rire la menace avec des pleurs d’amour.

 

À l’assaut de mon fer que vainement il pare,

Tout à l’heure son père est mort en un cri sourd.

Oh ! les sens éperdus ! Oh ! l’âme qui s’égare !

« Donne-moi tes baisers, Elvire, jusqu’au jour. »

 

Elle cède et répond : « Voici, voici mes lèvres,

« Mes lèvres, ô Don Juan, sources de volupté,

Où va boire longtemps ton désir irrité. »

 

Et moi je l’enlaçais en des mouvements mièvres,

Jouant avec son rêve et sa naïveté,

Fier, moi, larron d’honneur, de cette lâcheté !

 

 

                                      III.

 

                              L’unique.

 

Je ris et je souris, je bafoue et me moque,

Je suis « libertin » comme au siècle avant-dernier :

Dieu n’est qu’un songe des enfances ; et j’évoque

Le Diable en me plaisant tout haut à le nier.

 

Un cœur ardent devient dans ma griffe une loque

Pâle : et si j’entre dans une église prier,

C’est que le crucifix fait bien comme breloque.

Je communie afin de m’excommunier.

 

Un cortège me suit baisant mes mains sublimes ;

La jeunesse m’écoute énoncer à mi-voix

Le conseil qui rendra délectables les crimes ;

 

Sur la douleur je danse avec des pieds adroits :

Je suis l’impur messie et l’apôtre ironique :

Laissez passer le Fort, le Surhumain, l’Unique.

 

 

                                      IV.

 

                                L’enfer.

 

Lorsque Don Juan vieilli vit que les ans perfides

Avaient débilité son jarret et son bras,

Quand il vit malgré l’art se révéler les rides

Et blanchir ses cheveux malgré les onguents gras,

 

Il incanta par les larmes de ses maîtresses,

Par le mensonge de ses aveux, ses combats

Et ses meurtres, et par ses perverses caresses,

Et Satan, – Commandeur parut, saluant bas !

 

– J’aurais pu, dit Don Juan, car je suis volontaire,

À force de heurter mon front contre la terre,

Reconquérir ma place éclatante en le ciel,

 

Mais je reste l’artiste épris des beaux supplices,

Et je veux dédaignant de trop fades délices,

M’enivrer dans l’enfer de rancune et de fiel !

 

 

 

Jules BOIS.

 

Paru dans la Revue de Hongrie en 1909.

 

 

 

 

 

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