Les bourgeois

 

 

Plus mesquins que l’habitant qu’ils frôlent,

Les folichons bourgeois au repos,

Ventripotents et pleins de propos,

Hautains, bavards, chez lui, font les drôles.

 

Ils goûtent panoramas des champs,

Brises de juin, ombrages des hêtres,

Et se figurent les nouveaux êtres

Qui seraient la crème des méchants.

 

Puis ils se pavanent à leur aise,

Alentour des villas du bon air,

Comptant leur argent comme un dieu cher

Qui farcit de gloire le nicaise.

 

Ils ont tous leur concept de cité :

Ils se couvrent les yeux de borniques ;

Utopistes aux termes snobiques,

Le parler rural leur est gâté.

 

L’habitant, c’est la noire misère,

À leur dire de bourgeois tout purs ;

Ses habits lui vont mal et sont mûrs :

Il leur semble indécis et qu’il erre.

 

Mais ils chouennent l’habitant crotté,

Pour son beurre et pour ses viandes fraîches,

Fiers d’engloutir ses produits moins rêches

Que leur goût, chez Batiste, l’été.

 

Ils se lèvent tard, la matinée :

Ils font leur graisse et parlent beaucoup ;

Ils ne lunchent pas sans un bon coup :

Ce serait mal passer la journée.

 

Et le soleil, dictateur des cieux,

Dont l’œil desséchant est impudique,

Regarde souffler leur corps nudique,

Et rougit leur chair de ses longs feux.

 

La fraîcheur lointaine des montagnes

Invite avocats et médecins,

Notaires et politiciens

À s’envoûter des belles campagnes.

 

Le commerce devient un fardeau,

Et la loi, c’est une rude affaire

 Qu’il faut bien troquer pour la rivière :

On s’élonge, deux mois, sur le dos.

 

L’habitant leur arrache des piastres,

Avec sa bonhomie et son cœur,

Se disant, encore plus moqueur,

À les voir comme de nouveaux astres :

 

« Elles sont les bedaines nouvelles,

Ces panses aux légumes mignons,

Où gargouillent salade et rognons :

Elles ont la rondeur des javelles.

 

Et ces panses, ballant au devant,

D’hommes si mordus de politique,

Sont les trous d’une dalle authentique :

Celle de gruger, le plus souvent.

 

Boire et puis manger, pour elles toutes,

C’est bien la vie et l’art des richards :

L’intelligence est au fond des soutes,

L’orgueil physique les rend vieillards.

 

Elles viennent, soleils de l’année,

Chez l’habitant ou chez le colon,

Grossir, comme citrouille et melon,

Leur forme problématique et née,

 

Telles, près d’un jardin d’épinards

Où les poules surprennent leurs proies,

Les tambourinantes grosses oies

Qui trônent au milieu des canards ! »

 

Parvenus-bourgeois, lourds d’insomnie,

Bourgeois de nos générations,

Vous qui riez des terminaisons

De la langue parlée et jolie,

 

Vous avez des coppes, des maisons,

Des tactiques et, partant, des ruses,

Mais dans vos langages fous qui s’usent,

Vous n’êtes pas des inventions !

 

Notre langue et nos chères coutumes,

La franchise française d’antan,

L’hilare chanson du bon vieux temps,

Nos folklores qui vous accoutument,

 

Tout cela le peuple le conserve pour vous,

Ô bourgeois éternels, flagellés par Molière,

Qui pratiquez la farce au milieu de notre ère,

Car vous êtes la plus ridicule des toux !

 

Aussi, du haut du ciel, le bon François d’Assise,

L’humble et doux Curé d’Ars, près de monsieur Vincent,

Et Père Frédéric devenu tout-puissant,

Vous pleurent devant Dieu, faux apparats d’Église !

 

 

 

Georges BOITEAU, Aux souffles du pays, 1949.

 

 

 

 

 

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