Bernard d’Oms

 

 

« Vite ! jeunes Catalans, lacez vos espadrilles ; toi, moissonneur, laisse ton blé. Du haut de Madaloch, un feu rouge nous annonce que le Français, cette nuit, s’est caché, le traître ! derrière une haute roche.

 

« – Guerre ou servitude ! – nous dit cette engeance. Garçons, allons ! le fer au poing. Que chaque coup soit pour eux une plaie mortelle ; que l’ennemi tombe comme l’épi sous la faux, aux premiers jours de juin !

 

« À quoi bon, en effet, ensemencer la terre féconde, si l’étranger vient aussitôt nous voler nos fruits de sa main audacieuse ? Avant qu’il ose fouler aux pieds les champs dorés, tonnerre du ciel ! nous y mettrons le feu.

 

« Prise entre les serres du cruel épervier, la ville d’Elne est dans la terreur. Hommes vaillants, entendez-vous la patrie qui vous appelle, la patrie agonisante et qui se voit bafouée ? Elne mourir ?... jamais !

 

« Combien sont-ils ? et que vous importe ! Après la bataille, le corbeau et les loups-cerviers sauront bien les compter ! Houp ! empoignez la faux : tailladons et tuons, hardis, dans la mêlée ; et, si nous sommes peu, nous serons bientôt davantage ! »

 

*

 

Ainsi parla Oms. – Le cor et la cloche sonnent l’appel aux armes ; les chevaux hennissent, et volent comme le vent dans la plaine poudreuse.

 

Le fracas des blanches épées résonne comme un glas funèbre ; le fer rebondit avec un bruit rauque, plus rouge déjà que les braises qui crépitent dans le foyer.

 

Et, sous le tranchant de la lance vieille et rouillée, la chair se fend et s’entrouvre ; le sang bouillonnant, versé à grands flots, rougit le Réart.

 

Une immense jonchée de morts et de blessés couvre le rivage de la mer ; les Catalans luttent avec une ardeur fiévreuse sans reculer d’un pan.

 

Mais hélas ! voici que brusquement tout se tait dans la campagne ; plus de clameurs, plus de bruits. Ô Vierge des Douleurs, Bernard tombe de son cheval, grièvement blessé !

 

Le soleil, qui regardait avec anxiété, du haut du Canigou, l’issue du combat, s’est enfoncé tout de suite, assombri, triste et pensif, au-dessous de la mer bleue.

 

*

 

Tout est deuil, tout est tristesse, tout n’est que pleurs dans Perpignan, lorsque, sur la lance française, l’admirable tête d’Oms se balança au château.

 

Le Catalan vaincu verse maintenant des larmes de fiel ; il hurle sa douleur à tous les vents, et met en pièces la lame de l’épée et son écu.

 

Les pentes heureuses du Canigou enchanteur, émaillées de fleurs hier encore, sont aujourd’hui en deuil comme si elles avaient été brûlées par le tonnerre.

 

Là où l’épi berçait son fruit roux et dru, on dirait maintenant une âpre garrigue où jamais la main bénie de l’homme n’a rien semé.

 

Dans le bois, l’oiseau fait entendre un chant triste comme une plainte ; la rivière ne murmure plus ; la mer seule chuchote, et sa voix semble un juron.

 

Oh ! qui nous dira les regrets qu’Oms laissa dans tous les cœurs ! Vivant, il était l’espérance, l’étoile et l’arc de salut du royaume catalan.

 

 

Joseph BONAFONT.

 

Traduit du catalan par Jean Amade.

 

Recueilli dans Anthologie catalane (1re série : Les poètes roussillonnais),

avec Introduction, Bibliographie, Traduction française et Notes

par Jean Amade, agrégé de l’Université, professeur au Lycée

de Montpellier, 1908.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net