Comment les astres ressuscitent
LE SIÈCLE
Je vois à l’Orient, où l’Univers commence,
Et si loin que l’esprit seul peut l’apercevoir,
Je vois surgir, roulant comme un boulet immense,
Un globe ténébreux dans un ciel vide et noir.
Je vois aussi, traçant ses énormes spirales,
Un globe colossal monter de l’Occident.
Il s’avance à travers les plaines sidérales,
Ténébreux comme l’autre et sur lui se guidant.
Se sentent-ils au fond des sombres Étendues,
Ces deux astres éteints qu’enveloppe la Nuit ?
L’une vers l’autre ils ont leurs orbites tendues :
Qui donc au même but les pousse, les conduit ?
Avec tant de vitesse ils franchissent l’espace,
Sans jamais ralentir leurs essors effrayants,
Que la lumière même à peine les dépasse
Quand elle nous arrive en rayons flamboyants !
NEWTON
En leur vol effréné ne les perds pas de vue,
Le mot du grand mystère, ils te le donneront.
LE SIÈCLE
Comme s’ils parcouraient une route prévue,
Ces deux astres fougueux, bientôt, se heurteront.
Si nulle main ne vient incliner leur orbite,
S’ils doivent l’un sur l’autre être précipités,
Alors, – ô catastrophe effroyable et subite ! –
On verra s’écrouler les Cieux épouvantés.
Quelques instants encore, et les globes s’atteignent ;
Dans les immensités leur choc va retentir.
Quel horrible chaos ! Les firmaments s’éteignent.
J’ai peur, et je me sens, comme eux, anéantir !
NEWTON
Regarde, et raffermis ton âme exténuée.
Regarde : tu verras le grand œuvre accompli...
LE SIÈCLE
Mais je ne vois plus rien qu’une immense nuée
Dont un coin de l’espace, à présent, est rempli...
Quoi ! ces deux mondes morts, que Dieu, selon vous, pousse,
Par leur choc monstrueux ne nous ont pas brisés !
Quoi ! pas le moindre écho, pas la moindre secousse,
Et deux globes géants se sont vaporisés !
Au lieu d’un cataclysme et d’inouïs désastres,
Causés par ces soleils sous mes yeux abîmés,
J’aperçois à leur place une poussière d’astres :
En vaste nébuleuse ils se sont transformés.
NEWTON
De cette nébuleuse, âme qui ressuscite,
D’autres globes naîtront, aux astres morts pareils ;
Et c’est ainsi que Dieu, dans le ciel sans limite,
Éteint, et, tour à tour, rallume les soleils...
Marc BONNEFOY.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.