La légende de l’Éden
L’Éden était créé. – La brillante Nature,
Aux feux des premiers jours étalait sa beauté,
Et l’homme s’en allait, errant à l’aventure,
Jeune, superbe, fort, ivre de liberté !
Cependant, au milieu de ce monde splendide
Dont il était seul maître, il n’était pas heureux ;
Son cœur était sans joie et son âme était vide…
Pour goûter le bonheur, il fallait être deux.
Partout l’homme voyait cette union touchante :
Et le nid du ramier l’aire du vautour,
Et le lierre enlaçant sa racine grimpante
Au chêne des forêts, tout lui parlait d’amour !
Alors, Dieu, pour donner une sœur à son âme,
Pour combler les désirs de son cœur soucieux,
D’une rose et d’un lys fit la première femme,
Et, la donnant à l’homme, il les unit tous deux !
Ce jour-là, dans l’Éden, tout prit un air de fête :
Les colombes volaient près des aigles puissants,
Le loup, de son œil fauve, admirait la chevrette,
Les tigres aux lions se montraient caressants,
Ce jour-là, des grands bois, parure de la terre,
On entendit monter un chant mystérieux
Fait de frémissements, et la brise légère
Murmurait dans les fleurs : « Aimez-vous bien tous deux !
Dans un piège infernal fit tomber les humains,
Le Seigneur leur montra, loin du lieu des délices,
De la sombre Douleur les arides chemins.
L’homme se dirigea vers la triste vallée,
Il était abattu, morne, silencieux,
Mais il se releva, l’âme moins désolée,
Car il pouvait encor se consoler à deux.
Plus tard, quand le Démon, par ses noirs artifices,
Dans un piège infernal fit tomber les humains,
Le Seigneur leur montra, loin du lieu des délices,
De la sombre Douleur les arides chemins.
L’homme se dirigea vers la triste vallée,
Il était abattu, morne, silencieux,
Mais il se releva, l’âme moins désolée,
Car il pouvait encor se consoler à deux.
À deux tout se partage : on sourit à la peine,
Et l’on supporte mieux les assauts du malheur.
Lorsque, sur notre tête un fléau se déchaîne,
On peut, en s’unissant, conjurer sa fureur ;
Le plaisir est plus vrai, la joie est plus complète.
Oh ! qu’ils sont beaux à voir, les couples d’amoureux !
Sur leurs fronts rayonnants, le bonheur se reflète,
Quand, la main dans la main, ils s’en vont deux par deux.
Soyez béni, Seigneur, malgré notre misère,
Malgré votre courroux qui frappe tour à tour
Le riche en son palais, le pauvre en sa chaumière,
Puisque, avec la douleur, nous avons eu l’amour !
Soyez béni, Seigneur ! qu’importe la souffrance,
Puisqu’au suprême instant d’abandonner ces lieux,
On emporte avec soi l’enivrante espérance,
Dans une étoile d’or, de se revoir tous deux !
Melchior BONNEFOIS.
Paru dans La Flandre littéraire, artistique et mondaine en 1897.