L’infini
Quand, vainqueur du néant, par un sacré mystère,
De son vœu souverain Dieu créa notre terre,
Quand il nous anima de son souffle béni,
Entre son œuvre et lui pour tracer la distance,
À l’esprit des mortels courbés sous sa puissance
Il montra l’infini.
L’infini ! l’infini ! mot fatal et sublime !
Fanal éblouissant, sombre nuit, noir abîme !
Énigme, dont le mot tourmente en vain l’esprit,
Éternel désespoir de l’âme qui te sonde,
Parole, dont le sens brille et se voile au monde,
Océan, dont le flot nous inonde et tarit.
Suprême vérité, que les anges adorent,
Mystère ténébreux, que les mortels ignorent,
Mot que la langue humaine épellera toujours ;
Borne qu’aperçoit l’homme, et qu’il ne peut atteindre,
Secret de l’Éternel, qu’il faut bénir et craindre,
Jour, qui luira sans fin, quand finiront nos jours.
Oh ! quand cette pensée ou m’exalte ou m’écrase,
Je sens mon cœur plus fort battre dans cotte extase,
Comme si j’agitais le voile du trépas ;
Et dans l’abîme obscur plus je cherche à descendre,
Plus sa nuit est profonde, et moins je peux comprendre
Que l’infini puisse être, ou puisse n’être pas.
Et, lassé d’espérer la clarté que j’implore,
Brisé sous mon néant, je me courbe et j’adore...
J’adore, Dieu paissant, ta sainte volonté ;
Je m’abandonne, aveugle, ô Père ! à ta clémence,
Sûr que si l’infini réside en ta puissance,
Il est surtout dans ta bonté.
Eugène BOREL.
Recueilli dans
Recueil gradué de poésies françaises,
par Frédéric Caumont, 1847.