Les chemins
À Ernest Chebroux.
Où donc vont-ils, les longs chemins
Qui s’enroulent sur notre terre ;
Chemins de joie et de misère,
Où se croisent nos pas humains ?
Comme un écheveau qui s’emmêle,
Où vont-ils ainsi, pêle-mêle ?
Routes, sentiers, fils souterrains,
Lignes qui traversent l’espace,
Sillons mouvants du flot qui passe...
Où s’en vont-ils, les longs chemins ?
Ils s’en vont à travers le monde,
– Satellites de l’action –
Verser à chaque nation
Le sang de la terre féconde.
Tranchant monts, plaines et forêts,
À la conquête du progrès,
Des peuples ils mènent la ronde.
Pour unir chrétiens et païens,
Leurs rubans, fraternels liens,
Vont à travers le vaste monde.
Vers l’Inconnu mystérieux,
– Où l’on voit flotter des mirages
Sur de prestigieux rivages, –
Ils nous conduisent, anxieux.
Le bonheur qu’on voudrait connaître,
Où l’atteindre ?... là-bas, peut-être ?...
Avec nos rêves radieux,
En dépit des noires déroutes,
Nous marchons dans les sombres routes,
Vers l’Inconnu mystérieux.
Quelquefois l’amour et la gloire,
– Ces bohêmes de grands chemins,
Sans foi, ni loi, ni lendemains, –
En passant, nous offrent à boire ;
Pour un instant désaltérés
Et de leur nectar enivrés,
Nous les suivons, ardents à croire,
Sous les cieux clairs s’illuminant !...
Mais, hélas ! au prochain tournant,
Nous laissent l’amour et la gloire.
Ils vont trop loin, les longs chemins,
Dans l’orage et dans la poussière !...
Meilleure est l’ombre familière
Qui garde des vents inhumains :
Sentiers étroits, pleins de murmures,
Qu’on est heureux sous vos ramures,
Cœur contre cœur, mains dans les mains !
Sans souci des biens à poursuivre,
Pour aimer et doucement vivre,
Restons dans les petits chemins.
Antonia BOSSU.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.