La perfection et l’éternité de Dieu
2e ÉLÉVATION DE LA 1re SEMAINE
On dit : Le parfait n’est pas : le parfait n’est qu’une idée de notre esprit qui va s’élevant de l’imparfait qu’on voit de ses yeux jusqu’à une perfection qui n’a de réalité que dans la pensée. C’est le raisonnement que l’impie voudrait faire dans son cœur insensé, qui ne songe pas que le parfait est le premier et en soi et dans nos idées, et que l’imparfait en toutes façons n’en est qu’une dégradation. Dis-moi, mon âme, comment entends-tu le néant, sinon par l’être ; comment la privation, si ce n’est par la forme dont elle prive ; comment l’imperfection, si ce n’est par la perfection dont elle déchoit ? Mon âme, n’entends-tu pas que tu as une raison, mais imparfaite, puisqu’elle ignore, qu’elle doute, qu’elle erre et qu’elle se trompe ? Mais comment entends-tu l’erreur, si ce n’est comme privation de la vérité : et comment le doute ou l’obscurité, si ce n’est comme privation de l’intelligence et de la lumière : ou comment enfin l’ignorance, si ce n’est comme privation du savoir parfait : comment dans la volonté le dérèglement et le vice, si ce n’est comme privation de la règle, de la droiture et de la vertu ? Il y a donc primitivement une intelligence, une science certaine, une vérité, une fermeté, une inflexibilité dans le bien, une règle, un ordre, avant qu’il y ait une déchéance de toutes ces choses : en un mot il y a une perfection avant qu’il y ait un défaut ; avant tout dérèglement, il faut qu’il y ait une chose qui est elle-même sa règle, et qui ne pouvant se quitter soi-même, ne peut non plus ni faillir ni défaillir. Voilà donc un être parfait : voilà Dieu, nature parfaite et heureuse. Le reste est incompréhensible, et nous ne pouvons même pas comprendre jusqu’où il est parlait et heureux : pas même jusqu’à quel point il est incompréhensible.
D’où vient donc que l’impie ne connaît point Dieu ; et que tant de nations, ou plutôt que toute la terre ne l’a pas connu, puisqu’on en porte l’idée en soi-même avec celle de la perfection ? D’où vient cela, si ce n’est par un défaut d’attention, et parce que l’homme livré aux sens et à l’imagination ne veut pas ou ne peut pas se recueillir en soi-même, ni s’attacher aux idées pures dont son esprit embarrassé d’images grossières ne peut porter la vérité simple ?
L’homme ignorant croit qu’il connaît le changement avant l’immutabilité, parce qu’il exprime le changement par un terme positif, et l’immutabilité par la négation du changement même : et il ne veut pas songer qu’être immuable c’est être, et que changer c’est n’être pas : or l’être est, et il est connu devant la privation qui est le non-être : avant donc qu’il y ait des choses qui ne sont pas toujours les mêmes, il y en a une qui toujours la même ne souffre point de déclin : et celle-là non-seulement est, mais encore elle est toujours connue, quoique non toujours démêlée ni distinguée, faute d’attention. Mais quand recueillis en nous-mêmes, nous nous rendrons attentifs aux immortelles idées dont nous portons en nous-mêmes la vérité, nous trouverons que la perfection est ce que l’on connaît le premier, puisque, comme nous avons vu, on ne connaît le défaut que comme une déchéance de la perfection.
BOSSUET, Élévations sur les mystères, 1727,
1re semaine : « Élévations à Dieu
sur son unité et sa perfection ».