Le coucher du soleil
Rien n’égale à mes yeux un soleil qui décline.
Amis, voilà pourquoi souvent sur la colline,
À l’heure où le jour fuit,
Vous me voyez monter et m’asseoir en silence,
Et là, devant ce gouffre où mon regard s’élance,
Rêver jusqu’à la nuit.
Quel spectacle enivrant, et pour l’œil et pour l’âme,
Que ce roi de l’espace étincelant de flamme
Et si triste à la fois,
Qui, lorsque va finir son règne sur la terre,
Dépose au bord des cieux son sceptre de lumière
Et s’éloigne sans voix !
Les prés, le regardant, prennent des airs moroses ;
La nature s’émeut ; les fleurs à peine écloses
Tombent sur le gazon ;
On dirait que le monde, en proie à la souffrance,
Voit son rayon dernier et sa seule espérance
S’éteindre à l’horizon.
Moi, cloué sur mon roc, je médite et j’admire.
Et tandis que le jour baisse, pâlit, expire,
Sur terre et dans les cieux,
Je sens que ma pensée, où régnait la nuit blême,
S’éclaire doucement d’une lueur suprême,
Jour pur et précieux.
Précieux ! car c’est l’heure où mon rêve sait naître,
Mon rêve ailé, mon rêve exultant et divers,
Issu des pleurs et des effluves de mon être,
Mon beau rêve pour qui les cieux se sont ouverts.
C’est l’heure où devant moi, tout à coup, à la place
De ces objets confus dans l’ombre évanouis,
À la place du monde existant qui s’efface,
Un autre monde éclate à mes yeux éblouis,
Que je m’efforce de traduire en un poème
Virginal, où l’amour a la plus large part,
Mais qu’exalte et grandit une pudeur suprême :
Poème où la pensée, élevant son regard,
Passe sans faux apprêts, sans souillures ni voiles.
Car pendant que, courbé, j’écris sur mes genoux
Mes vers à la lueur discrète des étoiles,
Il me semble que Dieu, qui tient les yeux sur nous,
Pour lire mon brouillon se penche sur les pôles,
Comme au foyer, jadis, d’un air émerveillé,
Ma mère regardait par-dessus mes épaules
Ce qu’écrivait son fils distrait et barbouillé.
Georges-A. BOUCHER,
Chants du Nouveau Monde, 1946.