Lettre à mon fils, Claude
élève en philosophie
(Fragment)
Ô philosophe imberbe et qu’un vieux doute obsède,
Ô mon Claude, tu viens me demandant de l’aide,
À moi, qui vers l’étude ai dirigé ton goût,
À moi, qui connais l’homme, et le bon Dieu surtout,
Puisque je suis chrétien, puisque je suis ton père
Et que pour ton bonheur il faut bien que j’espère !
Tu veux savoir si l’univers, dont le regard
S’étonne avec raison, est l’effet du hasard ;
Et si nous, marchant droit, nous procédons des singes ?
Pourquoi sur tous ces points torturer tes méninges ?
Mais écoute : devant ce hasard créateur,
À la fois sage et bon et coordonnateur,
Qui nous eût fait un monde aussi beau que le nôtre
Dont chaque partie, être ou matière, aide à l’autre,
Je n’hésite un instant à t’en faire l’aveu,
Je m’agenouillerais : ce hasard serait Dieu.
Quant au singe, crois-m’en, il vaut un peu de boue.
Que le ciel à nos fins l’ait fait servir, j’avoue
N’y voir mal : il suffit que Dieu soufflât dessus.
Ô le souffle de Dieu ! Par lui furent infus
Dans l’homme ces hauts traits qui le rendent semblable
À son Auteur. – Voilà l’histoire véritable.
Légende, dit Darwin ! Mystère, dit la Foi !
Légende ou vérité, nous devrons, vous et moi,
Professer l’Évangile aussi longtemps qu’un livre
Comme lui révélé, nous enseignant à vivre
Sans le péché, ne régnera sur nos autels.
Et suivre en tout sa loi qui, de simples mortels,
Égoïstes et durs et méchants que nous sommes,
Fait de nous des chrétiens, c’est-à-dire des hommes
Pareils dans chaque siècle et mêmes en tous lieux :
Charitables, soumis et forts – presque des dieux.
Georges-A. BOUCHER,
Chants du Nouveau Monde, 1946.