La médaille du soldat
VIENS donc, viens, pauvre enfant ! puisque l’affreuse guerre
T’arrache à mon amour et te voue à la mort ;
« Pour la dernière fois, laisse ta vieille mère
« T’embrasser, te bénir, pleurer ton rude sort.
« Mais toi, pour la bataille,
« Tiens, prends cette médaille. »
Ainsi parla ma mère, et moi ? deux grosses larmes
De mes yeux obscurcis roulèrent sur sa main,
Mon cœur crut éclater..., défaillant sous mes armes.
Pâle, brisé, muet, je pris le grand chemin
Pour la grande bataille,
Emportant ma médaille.
J’allais, sans même oser regarder en arrière...
Pour tromper la douleur, essayant ma chanson...
Hé ! quel fils peut chanter, quand il quitte sa mère ?...
Ma voix dans mon gosier ne rendait aucun son...
J’allais à la bataille,
Regardant ma médaille.
Soudain le vent, m’apporte un bruit de voix forcées
C’étaient cent compagnons au délire brûlant
Qui, des monts descendus en bandes dispersées,
S’en allaient comme moi grossir le régiment.
Moi, rêvant de bataille,
Je pressais ma médaille.
Sans souci, comme on l’est dans le feu de l’ivresse,
Ils marchaient blasphémant et hurlant tour à tour.
« Profitons, disaient-ils, jouissons, le temps presse.
« Et qu’importe la mort ?... il faut mourir un jour ! »
Songeant à la bataille,
Je cachais ma médaille.
C’était dix jours après... Minuit : le clairon sonne.
« Soldats, crie une voix, debout, il faut partir !
« Entendez-vous là-bas ? là-bas, le canon tonne !
« Si nous sommes Français, allons vaincre ou mourir ! »
Sans craindre la bataille,
Je baisais ma médaille.
Et comme un tourbillon qui s’abat sur la plaine,
Nous marchons jusqu’au jour, haletants, mais sans peur :
Pareils aux vieux martyrs, on nous voit dans l’arène,
Fidèles au drapeau, descendre ivres d’ardeur.
« Du cœur à la bataille ! »
Me disait ma médaille.
On arrive, on engage ; et parmi la fumée,
La poudre, les obus, le massacre, les cris,
Bientôt la pâle Mort, attisant la mêlée,
Entasse morts sur morts et débris sur débris.
Moi, fier en la bataille,
J’invoquais ma médaille.
Et les balles sifflaient comme un vent de tempête,
Et la mort moissonnait... Moi, j’avançais toujours,
Je combattais sans peur ; car en levant la tête,
Au ciel j’avais cru voir : « Perpétuel secours. »
Je vis dans la bataille
Le prix de ma médaille.
Et quand le soir venu, l’on eut crié : Victoire !
Quand la voix des clairons eut fait cesser le feu,
Je cherchai, mais en vain, mes compagnons de gloire :
Ils étaient morts, hélas ! ceux qui blasphémaient Dieu !
Depuis cette bataille,
Je porte ma médaille.
R. P. François BOUCHAGE.
Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,
publié par Charles Buet, 1889.