Dépouillement
À Charles E. Harpe
de la Société des Écrivains
Novembre a commencé son œuvre :
une œuvre de dépouillement.
Je viens d’entendre sangloter la campagne...
Elle frissonnait éperdument,
inquiète des préludes hivernaux.
J’ai remarqué mille choses qui vont périr...
Et la nature était triste ;
triste comme ses arbres pleurant la beauté !
Ses grands arbres aux formes diverses ;
ils étaient sans couleurs, sans feuillage, sans oiseaux !
Après avoir suscité le rêve, ils criaient de nostalgie...
Après avoir logé les virtuoses de la trille,
ils étaient seuls infiniment !
Oh ! quelques feuilles jaunies, crispées,
mordues par la rafale,
persistaient comme un témoignage de fidélité
où naguère s’érigeait le foyer des branches.
Nous passions, et le décor quittait la route.
Derrière nous cependant,
il revenait à la poussière.
– Présage du dénuement des hommes –.
Quelle image, quelle ressemblance !
Quelle splendeur en cette phase d’écroulement !
Automne, grandeur et décrépitude !
J’ai perçu des bruits divers...
Surtout le cri des branches médusées par la brise.
J’ai regardé les champs couleur de rouille.
J’ai vu des hommes déchirer la terre.
Et ce dénuement transperça mon âme...
J’ai cru voir toute la souffrance humaine...
J’ai consolé des mères en deuil,
celles qui ont connu le départ
et vivent l’éternelle absence,
l’absence d’un fils, trait d’union conjugal !
J’ai prodigué le courage à des fiancées,
à celles qui ont connu le charme, la cruauté du rêve ;
la liberté, l’indépendance de l’amour...
Toutes celles qui vont inhumer l’espoir !
J’ai vu pleurer l’enfance européenne :
une génération qui veut du pain.
J’ai pénétré dans nos hôpitaux canadiens.
Au chevet de ceux qui souffrent,
je les interrogeais...
J’ai parlé à celui qui lutte pour guérir,
à l’autre que la mort a marqué par avance.
J’imaginais l’aspiration qui meurt :
un lévite sans sacerdoce,
et combien de vocations brisées !
En outre, j’ai vu des lieux où l’on s’amuse,
où l’on chante et s’enivre ;
des lieux où l’égoïsme oublie la misère,
la richesse la pauvreté !
Ô Dieu, pardonne aux impies...
Aux coupables révèle ta bonté.
Seigneur, à ceux qui te comprennent
permets de l’espoir.
Jette sur le monde l’indulgence et l’amour !
Eddy BOUDREAU, Vers le triomphe, 1928.