Prière au tombeau
Ce soir, avant de m’endormir,
je veux prier pour tant d’affections qui ne sont plus ;
car du fond des silences, j’ai perçu l’angoisse...
La douleur qui fait revivre des jours lointains...
Je songe à celle qui m’a donné la vie,
à la chaleur de son baiser.
Je songe à la symphonie,
à la musique de rêve qui a bercé mes pleurs.
Ma mère fut celle que je n’ai guère connue :
la vie a distancé nos pas ;
la souffrance a déchiré nos êtres !
Mais durant l’austérité qui broie,
au cours des solitudes immenses,
mon âme s’est révélée meilleure,
mon cœur a compris le devoir :
à l’heure du souvenir il saura mieux prier.
Parmi ceux que nous avons connus,
plusieurs ont franchi l’irréel.
Dans une autre lumière leur esprit s’est baigné.
Enivrés d’azur, ayant soif de pureté,
le ciel est descendu pour eux.
L’âme la plus humble atteint la lumière.
Aussi mérite-t-elle la tendresse,
l’empreinte de son Dieu.
On peut l’invoquer
car son être du péché ne portait pas la trace.
Si grands qu’ils furent sur la terre d’un pays,
pour un trésor périssable ayant donné leur vie ;
si riches de grâce et de volupté,
la mort a brisé leurs desseins !
Au silence vainqueur où se plongent mes idées,
je les écoute gémir quelque part dans l’abîme...
Eux qui sur la terre ont détruit la beauté !
– Enfants de Dieu et monstres de l’enfer –
Ils avaient la régie des pouvoirs immortels,
pouvaient connaître la splendeur du divin...
Ils pouvaient être saints et dépasser les nuages !
Mais le monde a réduit leurs élans...
Ils n’ont rien voulu voir au-delà de la terre.
Malgré tout, Seigneur, je crois que tu les aimes ;
que tu veux les sauver...
Ce soir, nos froids campaniles vont jeter dans l’azur
le glas universel,
le glas des âmes qui font appel aux prières :
« Ayez pitié, vous qui fûtes nos amis,
ayez pitié, car la main de Dieu nous a frappés. »
Eddy BOUDREAU, Vers le triomphe, 1928.