Conception allégorique
À M. Antonin Brun.
Si, disposant du grand, du sublime et du beau,
Je pouvais les confondre en alliant leur cause,
Oh ! je les unirais dans une apothéose
Pour personnifier les couleurs du drapeau !
Au seuil d’un Panthéon, et comme l’on expose
Sur un beau reposoir, en un jour solennel,
Le signe rédempteur du salut éternel
Devant qui le respect le plus sacré s’impose,
La France, ayant au front le beau nimbe immortel
Qui lui donne un aspect de grandeur infinie,
Et souriant ainsi qu’une mère bénie,
Se dresserait debout au milieu d’un autel.
De chaque côté d’elle on verrait le Génie
Et la Gloire, portant chacun ses attributs,
Et prêts à s’envoler vers les sublimes buts,
Comme un juge aux vainqueurs dans les jeux d’Ionie.
À leurs pieds le Travail et le Progrès, imbus
Toujours d’une croyance aussi forte que saine,
Se donneraient la main, – leur grande main humaine,
Qui ne s’ouvre jamais au lâche et vil abus.
Puis, alors, couronnant la beauté souveraine
De ce groupe idéal, la calme trinité
Des trois plus grands Français dans l’immortalité
Dominerait, comme ils ont dominé la haine.
Dans les plis d’un drapeau flottant en liberté
Ils se tiendraient unis dans une même étreinte,
Et portant sur leurs fronts l’incorruptible empreinte
De leur noblesse et de leur digne majesté.
Sur le blanc, qui parfois est une couleur sainte,
Ce serait Jeanne d’Arc, elle qui nous fait voir
Que le patriotisme et l’amour du devoir.
Dans la croyance en Dieu sont hors de toute atteinte.
Je draperais Hugo, qu’un génial espoir
Et qu’une ardeur sacrée entraînait, pour la France,
À combattre toujours l’erreur et l’ignorance,
Dans la couleur pareille aux pourpres d’un beau soir.
Malgré tout ce qu’on peut trouver, en apparence,
De distance entre ces deux grandes visions
Et l’esprit étranger des innovations,
Pour le bleu de Lesseps aurait la préférence.
C’est à lui qu’il revient, aux yeux des nations,
De personnifier la couleur que l’on prête
Au bourgeron du peuple aussi vaillant qu’honnête,
De celui qui l’aida dans ses conceptions.
Une aurore ineffable apparaîtrait en fête
À l’orient d’un ciel immuablement pur ;
Et tout ce monument, découpé dans l’azur,
Serait par ses rayons doré du pied au faîte.
Et moi, qui crois au bien, comme au règne futur
De la grandeur et des vertus de ma patrie,
J’irais prier au pied de cette allégorie,
Ayant toujours au cœur un espoir ferme et sûr.
J’irais lui demander que ma foi soit nourrie
Toujours par une ardente et sainte piété,
Que l’exemple du bien et de l’aménité
Ne me trouve jamais avec l’âme flétrie,
Afin d’avoir un jour la ferme volonté
De l’abnégation, l’amour de la justice,
Qui mène aux grands exploits et même au sacrifice,
Pour Dieu, pour la patrie et pour l’humanité.
Ed. BOUILLET.
Paru dans Poésie, 11e volume
de l’Académie des muses santones, 1888.