L’art profané
Hier, dans mon jardin assise,
Je lisais, il faut bien qu’on lise,
Je lisais... pardon !... du Zola !
– Le livre, parfois, nous enlève, –
Fermant les yeux, je fis un rêve,
Le rêve étrange que voilà :
Je vis un grand oiseau rapide
Dévorer, d’une aile intrépide,
L’abîme des éthers profonds :
De nulle fange sacrilège,
Sa brillante robe de neige
N’avait essuyé les affronts !
Je le contemplai : Dans l’espace,
Il planait avec tant de grâce
Que les cieux en étaient ravis :
En sa course follement ivre,
Les astres semblaient le poursuivre
De longs regards inassouvis !
Ses larges ailes soutenues
Sur l’étincellement des nues
Embrassaient les immensités,
Et, dans le firmament sans voiles,
Faisaient jaillir jusqu’aux étoiles
L’éclair des vols illimités !
Il s’éleva jusqu’à la voûte
Que l’on rêve, et que l’on redoute,
Jusqu’au seuil du sacré séjour
Où, seul, en son asile auguste,
Se tient le seul Vrai, le seul Juste :
Le pur et radieux Amour !
Dieu, dans sa main, voulut le prendre,
Mais il se mit à redescendre
De son allure de courrier.
Fuyant le doux piège céleste,
La Création et le reste,
Il s’abîma dans un bourbier.
Et j’entendis pleurer les anges !
Il se vautra parmi les fanges,
Il les but, il les boit toujours ;
Il ne plane plus, il chancelle,
Il a laissé traîner son aile
Le long des murs des carrefours !
Oh ! que je goûterais de charmes,
Si je trouvais assez de larmes
Pour laver au flot de mes yeux,
Et la rendre à sa destinée,
La belle neige profanée
Du grand oiseau mystérieux !
Marie BOULANGER.
Paru dans L’Année des poètes en 1894.