Je suis lasse...
Je suis lasse, mes bras sont rompus : – la Douleur
Courbe mon front pâli par les pleurs et les veilles. –
Les chansons du Printemps, si jeunes et si vieilles,
Éclatent au dehors et l’ombre est dans mon cœur.
Je suis triste à mourir. – Ah ! plains-moi ! Je succombe :
Sans baiser, sans aveu ; quand il faut s’éloigner
Et que, sous sa poitrine, on sent l’amour saigner,
On ne peut faire un pas sans qu’une larme y tombe !
Le baiser qu’on échange adoucit les adieux :
On s’en va moins brisé quand on a dit : « Je t’aime »
Et je n’emporte rien – un souvenir pas même
Qui me soit un rayon où me sécher les yeux.
Rien !... Seule dans la nuit où, pâle, je m’enfonce
Nulle étoile ne luit aux confins du réel,
Et devant moi l’Espoir fuit comme un criminel,
Effrayé, stupéfait des mots que je prononce !
Mais pardon ! je me tais : – j’aurai la dignité
Suprême du martyre. Aux cœurs que le sort froisse
Mon poème apprendra quelle fut mon angoisse,
Mes adieux à l’Éden en diront la beauté !...
Au seul nom des adieux, tout mon être s’effare
Et ma lèvre ne peut l’épeler sans frémir ;
Je souffre d’exister, je tremble de mourir :
– Retiens mon âme, afin que rien ne nous sépare !
Marie BOULANGER.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.