En défaisant la petite crèche
Janvier au col de givre est trépassé d’hier ;
Il nous faut donc te dire adieu, crèche de mousse,
Rayonnant au désert sombre et nu de l’hiver
Comme une oasis claire et douce.
Je veux baiser vos doigts de cire, ô Dieu-Enfant :
Vos frêles mains qui ne sont pas clouées encore...
À travers le dessin naïf et deux mille ans
Ma foi rejoint à Bethléem Jésus enfant,
Et tendrement je Vous adore
Fragile Tout-Puissant, Sagesse qu’on ignore,
Maître de l’univers dans la paille dormant,
Éternité qui vient d’éclore !...
Je vous quitte à regret mon doux Seigneur-Enfant.
Pieusement dans un nid blanc je Vous blottis.
Près de Vous, l’ange rose aux chairs de Paradis,
Joseph drapé de mauve et la Vierge benoîte
Vous feront une cour en la candeur de l’ouate.
Dans un coffret laqué, je dépose les « rois » :
Le sceptre a du prestige encor... fût-il en bois !
Au patient bœuf roux, à l’humilité grise
De l’âne, à la douceur de l’agneau blanc qui frise.
Joignons l’éléphant bleu puis les naïfs santons
Et le cygne endormi sous l’arche de carton.
Voici le berger blond à l’émouvante grâce
Qui porte (lourd collier d’amour) la brebis lasse :
Tel quel il dut venir jadis montrer au cœur
Du Maître tout petit le premier Bon Pasteur.
Voici le puits cerné de houx. Vers lui s’empressent,
(Géants ou nains, boiteux, branlants et presque noirs
De neigeux qu’ils étaient !) les moutons que, le soir,
Claude peut caresser pour prix de sa sagesse.
Voici le page nègre au manteau de safran,
Chamelier vert pomme et fraise, un dromadaire
Aux chatoyants fardeaux alourdis de mystère,
L’étoile en filigrane à l’or éblouissant,
Et voici le palais d’Hérode le méchant.
Je découronne la colline
(Frondaisons de copeaux ruchés)
Du moulin couleur d’aubépine
Que j’y ai fièrement juché.
Ce moulin est anachronique ;
Jésus pourtant l’eût bien aimé
Pour son grand geste symbolique,
Son beau signe de croix ailé.
Et j’emporte enfin les chaumières,
Peu orientales aussi,
Mais qui disaient à leur manière :
« Heureux les pauvres en esprit. »
De la crèche à présent il ne reste plus rien
Qu’un amas gris et morne au pied du bahut sombre,
Ce coin de joie et de clarté s’est empli d’ombre...
Comme mon cœur sans Vous, ô mon unique bien !
Maître je Vous bénis pour tous les hivers blancs
Où Vous m’avez permis de bâtir votre crèche ;
Parce que celle-ci, pour mon enfant si fraîche,
Est la même dont s’est grisé mon œil d’enfant.
Pour les beaux souvenirs qui chantent là, merci !...
Et pour les chers yeux clos qui jamais ne l’ont vue
Mais jouissent de Vous au delà de la nue,
Avec larmes, Seigneur, je Vous bénis aussi.
Puis... comme je voudrais, ô tendre petit Roi,
Qu’une nuit de Noël quand l’espérance est née,
Que le bonheur fleurit au creux des cheminées,
Il y ait un joujou rose et vivant pour moi !
C’est mon humble supplique, Enfantelet si beau,
(Rien qu’à la murmurer mon pauvre cœur tressaille)
Que Vous puissiez un jour, de votre lit de paille,
Bénir un petit frère au creux de mon berceau.
Andrée BOURÇOIS-MACÉ,
Pétales d’heures,
Éditions de La Tour du Guet.