Le jour des morts
Le vent d’automne passe et la forêt profonde
Sent frissonner déjà ses rameaux agités,
La feuille se flétrit, tombe et se perd dans l’onde
Des torrents écumeux vers le fleuve emportés.
C’est la fête des morts.... et dans les tours sacrées
L’airain jette au ciel noir son glas funèbre et lent.
C’est la fête des morts et nos âmes navrées,
Sur les tombeaux aimés s’inclinent en tremblant...
Sous nos pleurs brisez-vous, marbres froids, lourdes pierres ;
Entrouvrez-vous, tombeaux, écartez-vous, linceuls.
Nuit, dissipe un instant tes effrayants mystères,
Laisse-nous contempler les morts qui dorment seuls.
Horreur !... qu’en reste-t-il ?... quelques vagues atomes
Un peu de rendre unie au terrestre limon !
Qu’en reste-t-il encore ? hélas ! ces vains fantômes
Qu’on nomme souvenir et qu’on appelle un nom !...
Et comme nous, ces morts, au chemin de la vie,
Ont marché souriants et couronnés de fleurs !
Au matin de leurs jours, l’âme jeune et ravie,
Ils rêvaient palpitants d’impossibles bonheurs !
L’amour les a bercés dans de chastes ivresses :
La gloire s’est levée en leur ciel radieux ;
La vie eut pour eux tous d’enivrantes caresses...
Amour, gloire, bonheur.... ah ! détournons les yeux !
Aveugles ! nous cherchons les terrestres lumières
Et la nuit nous surprend au milieu du chemin !
Insensés ! nous courons aux gloires éphémères
Et leur palme se brise en notre faible main !
Malheureux ! nous aimons... quels horizons splendides !
Quels cieux étincelants ! quel océan d’amour !
La mort plane, s’abat, étend ses bras sordides....
Les fleurs de notre vie ont duré moins d’un jour !...
Ils sont là, froids, glacés, là sous la brune terre,
Les cœurs chauds qui battaient au son de notre voix !...
Ah ! pourquoi suivre encor la route solitaire ?
Pourquoi nous égarer dans l’ombre des grands bois ?...
Pourquoi vivre, mon Dieu ! si votre main cruelle
Brise, à plaisir, les nœuds qu’elle avait faits si beaux ?
Si la tendresse hélas ! ne peut être éternelle,
Et si nous restons seuls debout sur des tombeaux ?...
Seuls ! quoi ! ma lèvre impie a jeté ce blasphème !
Seuls ! lorsque votre esprit souffle consolateur !
Lorsqu’à nos cœurs, mon Dieu ! vous vous offrez vous-mêmes !
Lorsque vous vous nommez : Jésus le Rédempteur !
Seuls ! non ! car vient s’asseoir la sublime espérance
Sur les débris qu’a faits la séparation.
La mort, pour nous, chrétiens, ah ! c’est la délivrance !
Notre œil, sur le tombeau, lit : Résurrection.
Mélanie BOUROTTE.
Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1860.