Réserve

 

(Prière du Soir)

 

 

Tout ce qui luit et chan te au soleil de ma joie,

Toutes les fleurs dont le parfum rit sur ma voie,

Tout sort de Votre main, tout est Vôtre, Seigneur :

Ces choses, s’il le faut, je les rendrai... sauf l’une.

Mon Dieu, prenez-moi tout. Prenez-moi la fortune ;

(Et, si l’argent n’est point le maître du bonheur,

Il en est le valet) ; privez-moi de son aide ;

Ôtez-moi cette clef à qui les coffres cèdent

Où brillent les plaisirs – bijoux emprisonnés... –

Même le plus joli : le bonheur de donner.

Bien que la chair en moi se rebelle éperdue

Lorsque le souvenir, loup fauve, l’a mordue

– Souvenir des longs jours emmurés, pleins d’horreur –

Prenez-moi la santé si Vous voulez, Seigneur.

 

Pire : laissant flotter sur tout la brume pâle,

Que je ne sache plus avec un seul pétale

Faire un éden, ni dans mon âme entretenir

Le soleil sans couchant qui pare toutes choses

De joyaux : que le rêve en moi vienne à mourir ;

Que la feuille et le flot et le vent et les roses

Pour moi n’aient plus de chants, de parfums sous les cieux.

Et, s’il Vous faut encor un bien plus précieux,

Prenez-moi mes amours : que solitaire j’aille

Traînant mes sombres jours comme un faix de broussailles

Par une morne steppe au ciel bas, désolé.

J’irai jusqu’à vouloir cela, si Vous voulez...

Oui, je vous rendrai tout... et mes souvenirs même...

Mais laissez-moi le plus grand bien, le bien suprême :

 

De voir en toute chose un simple, un bon outil

De l’Ouvrier d’amour dont la main me cisèle

(Et cette main jamais n’est absurde ou cruelle.)

Oh ! laissez-moi penser que le monde est un nid

Œuvré par une sage et fidèle tendresse...

Même si quelquefois les crins du nid me blessent.

Oh ! laissez-moi penser que je suis en Vos bras,

          Sûre de la route à poursuivre,

          Sûre du but qui luit là-bas,

Sûre de la noblesse et du bonheur de vivre.

          Laissez-moi penser que les pleurs

          Sont graines d’immortelles fleurs ;

Que j’ai pouvoir sur Vous en mon humble prière,

Et qu’il est à l’épreuve un sens très beau, très doux ;

Et que le dernier mot de toute énigme est Vous,

Et que Vous noierez l’ombre un jour dans la lumière.

 

Oh ! laissez-moi penser que tout m’est fraternel,

Que tout peut m’être une aide aux voies mystérieuses

Où je vais chancelant et peinant vers le ciel ;

Puis, que si les montées me semblent douloureuses,

C’est plus que le repos qui m’attend à la fin.

Oh ! laissez-moi penser que cette immense faim

Qui est l’os de ma chair, la moelle de mes moelles,

Que cette immense faim d’une vie éternelle

Et d’un bonheur total pour toujours assuré,

          Là-haut, Vous la rassasierez.

Laissez-moi la douceur d’une Présence chère

Tendre et compatissante infiniment, d’un Frère

          Sage, puissant, compréhensif,

Dans l’église où frémit la lampe au feu pensif.

Laissez-moi la splendeur des fêtes coutumières,

Le vertige sacré des grands psaumes latins,

          Et, sur les choses, la lumière

La plus belle : en savoir la Cause avec la Fin.

Laissez-moi ce qui fait le courage d’attendre :

Cette aube radieuse au bord des nuits de deuil ;

Savoir que nos aimés la mort ne peut les prendre

Et qu’ils seront à nous par delà le cercueil.

Oui, laissez-moi surtout cet espoir merveilleux

          Qui fait de la terrible Mort

L’humble valet grognon, huissier des portes d’or,

Des portes de soleil du beau Paradis bleu.

Je donne tout pourvu que ne soit pas ravie

La Foi qui fait ma joie et ma force et ma vie ;

 

De tout, sauf de cela, Maître, dépouillez-moi.

Mon Dieu, prenez-moi tout... mais laissez-moi la Foi.

 

 

 

Andrée BOURÇOIS-MACÉ,

Pétales d’heures,

Éditions de La Tour du Guet.

 

 

 

 

 

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