Sur le Calvaire
Au Poète Émile Trolliet.
Quand le monde, en son ignorance,
S’effondre dans l’iniquité,
Dieu prend pitié de sa souffrance :
Avec l’amour et l’espérance
Il lui fait une vérité.
Puis, tirant des ombres de l’Être
Un être investi de ses dons,
Il l’envoie au monde apparaître,
Comme un frère, non comme un maître,
Et les mains lourdes de pardons.
Le monde étonné ne peut croire
Celui qu’il n’a point attendu :
Ingrat, il l’immole à sa gloire.
Mais la victime expiatoire
Renaît Dieu du sang répandu.
Son sacrifice purifie
Même les sacrificateurs.
La mort d’un Dieu, c’est de la Vie !
L’aveugle qui le crucifie
Voit plus de ciel sur les hauteurs.
Ce fut ta mission sévère,
Ô Galiléen radieux
Qui fis couler sur le Calvaire,
Pour nous abreuver à plein verre,
Le vin miséricordieux !
Tu fus le Verbe salutaire
Par qui Dieu refit l’Unité !
Car il fallait, pour que la terre
Se vît en toi, que ton mystère
S’unît à notre infirmité.
On dit que l’humaine justice,
T’enchaînant à deux scélérats,
Voulait qu’au milieu du supplice
Ils te nommassent leur complice, –
Mais toi, tu leur ouvris tes bras.
Eh bien, regarde, Christ !... Nous sommes
Plus tremblants que ces deux voleurs.
Le monde est ténébreux. Les hommes,
Du fond de leurs tristes Sodomes,
Élèvent vers toi leurs douleurs.
Déjà gronde la prophétie
Par la voix de l’oracle humain...
Si la Sibylle balbutie
Ton nom qui la trouble, ô Messie,
C’est qu’elle te priera demain !
Aux clartés de l’aube première,
Fais que ton peuple résigné
Change sa route coutumière :
Sur les chemins de la lumière
Nos pieds n’ont pas encor saigné.
Sauveur dont le Verbe demeure,
Du moins laisse-nous espérer
Que la Justice aura son heure,
Puisque l’Amour ne nous effleure
Que pour nous apprendre à pleurer !
Paul BOUVIER.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.