La bénédiction des fromages
« Dignare sanctificare anc creaturam casei quam ex
adipe animalium producere dignatus es. »
Seigneur, le vent de mer sur les prés de Dixmude
A salé l’herbe haute où rêve un bétail rude.
Dans les champs ardennais votre grâce préserve
les pâtures qui font là-haut l’orgueil de Herve
et l’arôme des bois odorants les effleure.
Ils nous donnent le lait, les crèmes et le beurre.
Bénissez aujourd’hui, Dieu des prés, les fromages
dont votre peuple obéissant vous fait hommage !
Qu’ils soient gras ou légers, ronds comme des boulets,
ou plats comme ceux qui crevaient et s’écoulaient ;
que l’odeur des brebis ou des prés s’y renferme
qu’ils soient battus, Seigneurs, dans la cour de la ferme
et que leur bords durcis soudainement s’argentent
dès l’aube, sous les mains rougeaudes des servantes ;
de l’alpage, qu’ils soient portés, surs et verdâtres,
vers les marchés, sous le manteau mouillé des pâtres ;
qu’ils viennent du Jura, du Cantal ou de Parme,
qu’ils soient pétris par la dextre auguste des Carmes,
que s’incruste à leur face une crosse d’abbesse,
qu’ils fleurent les parfums des herbes de la Bresse,
du plat pays, des Vosges, de la Brie,
de Roquefort, Gorgonzola ou d’Hespérie !
Bénissez-les, Seigneur ! Bénissez le Présent,
Le Chester roux et le Gruyère larmoyant,
le Kantercaas et les rondelles de Mayence
où se mêlent les grains d’anis et les semences,
l’Édam, le Pottekees, fromage des Marolles
et ceux auxquels on dit : « Monsieur » comme à des hommes.
Thomas BRAUN.
Recueilli dans La poésie francophone
de Belgique 1804-1884,
par Liliane Wouters et Alain Bosquet,
Éditions Traces, 1985.