Chant du cygne
Quand les regards s’éteignent,
Quand les lèvres ne parlent plus,
Quand ce cœur qui battait retombe à son silence,
Quand le fleuve de sang tarit son chaud tumulte :
Ah, voici le rêve redevenir miroir,
Et j’entends de nouveau le chant des Anges,
Ces Anges qui m’apportèrent la vie.
Ils battirent si bien de leurs ailes heureuses,
Au tintement des pures cloches de mai,
Que tous les oiseaux s’envolèrent à l’église :
Et la sauvage ardeur de leurs cantiques était si douce
Que la Joie et l’Amour affrontèrent leur ferveur
Jusqu’à ce que la vie fût saisie et reçue,
Jusqu’à la floraison des fleurs,
Jusqu’à la brûlante maturité des fruits
Tombant dans le sein de la terre,
Ronds et rouges, prêts pour le jeu,
Jusqu’au bruissement sur la terre des feuilles dorées,
Jusqu’aux étoiles de l’hiver épiant pensives
Le lieu où le vertigineux semeur les dissémine
Afin que naisse la beauté du printemps nouveau.
Tout est calme, la neige luit sur la colline,
Et je baigne au givre d’argent mon aile morte.
Voudrais-je tressaillir vers un printemps nouveau,
Voici que me saisit une extase glacée.
Mon cœur gèle : un lac de délices
Où glissent la lune calme et le soleil sans violence ;
Parmi les pensives étoiles chargées de sagesse et de songes
Je contemple aux lointains du ciel ma constellation ;
Toute souffrance est joie, toutes les douleurs rient,
Et la vie entière quitte mon cœur, exténuée.
Douceur, ô douceur de cette mort,
Entre l’or de l’aurore et l’or du crépuscule !
Clemens BRENTANO.
Traduction de Gustave Roud.
Paru dans les Cahiers du Sud en 1937.