Comme un cerf altéré...
J’ai prié longuement, le front contre le sol.
Ô mon Dieu, me voici : Samuel, nouveau Saül
Blessé mortellement d’un seul trait de ta flamme.
J’ai pleuré dans ton temple, ô Dieu, comme Augustin,
Comme Pierre et Français, gavé de ses festins ;
Comme l’enfant prodigue, et comme Madeleine.
Mon cœur à vif se tort et gémit sous ta lame,
Ô Christ, tyran d’amour à la brûlante haleine.
Tu m’as dit, mon Seigneur, des choses si divines,
Et si suavement, qu’enflammé, je devine,
Sans la pouvoir comprendre, ô Dieu, ta charité.
Sis à tes pieds, je te mendie ta vérité.
Tu m’as dit les secrets de ton riche cellier.
Et j’ai couru pour toi, comme un grand lévrier,
Dans tes forêts d’amour. J’ai baigné dans tes sources.
J’ai chanté tes clartés et ta douce fraîcheur ;
J’ai chanté ta beauté, ta force et la blancheur
De ton teint, Bien-Aimé, les perles de rosée
De tes cheveux calmant le volcan de mes courses,
Mon âme est crevassée de soif d’être arrosée.
Le créé m’apparaît comme boue, comme suie.
Prends mon ombre traînante... Arqué de pleurs, j’essuie
Mes yeux que ta bonté lave de repentir.
Le inonde s’imprécise à mon âme embrasée.
Ma vie, dans ton mortier divin, s’est écrasée
En poussière d’amour. Ô mon Christ tant aimé,
Fonds-moi comme une cire, au point d’anéantir
Le vieux moi convulsif que tu dois consumer.
Je sens le lac profond de mon cœur se vider,
Mes joies, écheveau d’or, mourir, se dévider.
Tu m’apparais, mon Christ, si beau sous tes blessures,
Ton défigurement total au Golgotha ;
Si solitaire, et si peuplé, sous nos crachats ;
Si humain, si divin, épaulant nos misères,
Larguant tous nos espoirs, Christ, unique mâture
Des âmes, ces voiliers glissant dans ta lumière.
Arrache-moi, Seigneur, à toutes les sirènes
Dont le charme mortel veut crever ma carène ;
À mon orgueil fumant, à mon obscurité,
Au clinquant de ma vie qui fuit ta vérité.
Comme un cerf altéré court à l’eau des fontaines,
Mon âme, ô Dieu, te veut, pauvre samaritaine.
Midi brûle ma vie de son troublant baiser.
Je n’ai plus faim, mon Dieu, que d’ouïr ta parole,
En m’épanouissant, faible et simple corolle,
Au jardin de ton Cœur, cénacle somptueux.
Infini, tu m’étreins. Toi seul peux m’apaiser.
Je bois tout mon soleil dans l’âtre de tes yeux.
Roger-Marie BRIEN, c. s. c., novembre 1940.
Paru dans Regards en 1941.