Espérance

 

 

J’ai les mains pleines de suaires.

Mon cœur plus lourd qu’un ossuaire

Pourtant s’est dépouillé pour tous.

J’ai les mains pleines de suaires

Et des fardeaux plient mes genoux.

 

J’avais rêvé pour l’univers

De festivals et de concerts

Où la féerie serait maîtresse.

J’avais rêvé pour l’univers

D’amour, d’espoir et d’allégresse.

 

J’ai le cœur gris comme un automne

Où tout est sombre et monotone,

Où chaque feuille doit tomber.

J’ai le cœur gris comme un automne

Qui va finir par succomber.

 

J’avais rêvé pour tous les miens

De beaux châteaux, de ciels, de riens,

Tous ces bijoux qui font le monde.

J’avais rêvé pour tous les miens

La joie de mon âme profonde.

 

J’ai l’âme triste comme une onde

Qui s’en allant, triste Joconde,

Sait bien qu’elle ne viendra plus.

J’ai l’âme triste comme une onde

Où tant de tristesses ont plu !

 

J’avais rêvé de tous les rires

Brillant aux lèvres des Elvires,

Comme un matin épanoui.

J’avais rêvé de tous les rires :

Je n’ai qu’orages et que nuits.

 

J’ai l’esprit plein de Beethoven

Et Mozart chante en son Éden,

Au fond de ma musique intime.

J’ai l’esprit plein de Beethoven,

Comme un volcan s’ouvre à l’abîme.

 

Qui suis-je ? Une ombre ? Un voile ? Un cri ?

Peut-être rien ? Pourtant l’Esprit

Prend ma pensée et parle au monde.

Qui suis-je ? Une ombre ? Un voile ? Un cri ?

Pas même un point de mappemonde.

 

J’ai soif de paix et de silence,

Comme la lune se balance,

Vaisseau rêveur des grandes nuits.

J’ai soif de paix et de silence :

Pourquoi m’ouvrir tous vos ennuis ?

 

Je n’aime pas le fard des masques,

Tu le sais bien, monde fantasque !

Pourquoi vouloir m’en livrer un ?

Je n’aime pas le fard des masques.

Que voulez-vous, j’ai mes parfums ?

 

Riez, si le cœur vous en dit.

Appelez-moi : hère maudit !

Mon rythme est celui des étoiles.

Riez, si le cœur vous en dit.

Au firmament, glisse ma voile.

 

Est-il un chant, ô monde dur,

Qui ait touché ton cœur impur

Sans que ne meure le poète ?

Est-il un chant, ô monde dur,

Qui ne soit mort dans la défaite ?

 

Mais pourquoi donc cette amertume

Épaisse en moi comme une brume ?

J’ai tout livré de mes trésors.

Mais pourquoi donc cette amertume ?

Ne suis-je pas sur le Thabor ?

 

Mon cœur massacre ses vains songes,

Car je n’aime pas les mensonges.

Que me veux-tu, monde inhumain ?

Mon cœur massacre ses vains songes

Laissant des taches dans les mains.

 

Ô mes enfants, mes anges blonds,

Sachez du moins combien profond

Était le cœur de votre père !

Ô mes enfants, mes anges blonds,

Vous le soleil de ma lumière !

 

 

 

Roger BRIEN, Vols et plongées, 1956.

 

 

 

 

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