On a passé près de mon cœur

 

 

On a passé près de mon cœur

Sans rien connaître de sa flamme.

On a passé près de mon cœur.

 

On a passé près de mon âme

Sans dire un mot de réconfort.

On a passé près de mon âme.

 

Mon cœur se plaint, comme un grand port

De va-et-vient de beaux navires.

Qui s’éternise aux quais d’un port ?

 

Tant de vaisseaux pimpants chavirent.

Tant de regards qu’on ne voit plus

Et dont le feu s’éteint, chavire !

 

Mon rêve, à pleine ondée, a plu

Sur l’univers en jets d’étoiles.

Mon rêve, à pleine ondée, a plu.

 

Ah ! tous ces yeux clairs qui se voilent

Pour ne point voir mon cœur aimer !

Tous ces regards lourds qui se voilent.

 

Quel est ce vent qui vient fermer

Les gais volets de ma tendresse ?

Quel est ce vent qui m’a brimé ?

 

On a marché sur mes ivresses,

Ces dunes d’or qu’on n’entend pas.

On a fauché tant de jeunesse !

 

Qu’a-t-on fait d’autre, au cours des âges,

Que d’ignorer des flots de cœurs

Courant, serrés, vers leur naufrage ?

 

Un jour, le bruit n’est plus vainqueur.

Toute clameur cède au silence

D’une pensée aux feux vainqueurs.

 

Le temps détruit les apparences

Et chaque front paraît enfin

Dans son éclat de transparence.

 

Les enivrés de joies sans fin,

De fou tumulte et des chairs mortes,

Masquent leur fin dans le satin.

 

Les seuls grands noms luisent aux portes

Du Panthéon du genre humain.

La paille, un jour, le vent l’emporte.

 

Ah ! tous ces morts sur les chemins

Que rien ne peut ravir aux ombres !

Qu’ont-ils bâti de leurs deux mains ?

 

Traqués d’oubli dans leur pénombre,

Tant de penseurs n’auront pas vu

Se lever d’aube à leur pénombre.

 

Mais tous leurs rêves entrevus,

La mort les sortira de l’ombre.

C’est par leurs yeux qu’un monde a vu.

 

 

 

Roger BRIEN.

 

Paru dans les

Cahiers de l’Académie canadienne-française.

 

 

 

 

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