Mort et assomption de Notre-Dame
Quasi myrrha electa.
I
Ô la douce agonie dont le soir s’illumine,
Musique qui s’endort en enchantant les bois ;
Le Lys mélodieux s’incline :
Un Dieu en souriant l’a touché de son doigt.
Parfumant les saisons de leur mélodieux murmure,
Pétales d’or sous un ciel qui flamboie,
Vos jours miraculeux ont volé dans l’azur,
Riant avec l’Enfant ou saignant sur la Croix,
Divinement tissés de douleur et de joie.
Votre pitié les semait à mains pleines
En holocauste au Dieu que nous avons blessé.
Ils ont frémi autour de la misère humaine,
Voilant nos fautes sous leur grâce souveraine.
Votre vie a glissé
Vers les bleus Paradis comme une harmonieuse haleine.
Mais sur la terre délaissée, –
Tandis que votre corps radieux et glacé
Dort en éblouissant les ténèbres mortelles
Et que votre âme en fleur s’épanouit au ciel, –
Cortège inattendu,
Dans un bruissement d’impalpables dentelles,
De beaux anges immaculés sont descendus.
Si leur manteau frémit à la brise mortelle,
Si l’air s’émeut devant la blanche épiphanie,
Les concerts déliés des plaines éternelles
S’éveillent en impondérables harmonies.
À pas légers, comme des prêtres à l’autel,
Ils entourent la couche où la Mort a souri.
Leurs mains surnaturelles
Ont étendu le linceul précieux
Sous le corps embaumé où voulut vivre un Dieu.
Leurs mains de rêve, fraternelles,
Avec des gestes attendris
Ont soulevé la chair que nul vent n’a flétrie,
Déployant pour ses membres frêles
La somptuosité des tremblantes soieries
Tissées dans les jardins du ciel.
Dormez sous la musique de leurs ailes.
Votre chair de clarté ne peut être abolie
Et son léger sommeil n’est qu’un instant d’oubli.
Le vol en feu d’une tremblante aurore
Délivrera la chair ensevelie.
Le blanc cortège sort,
Emportant le fardeau royal de votre corps
Au jardin dont les fleurs ont tout à coup pâli.
Laissez les Anges vous enclore
Dans le sépulcre neuf et le marbre poli
Que le Ciel d’un parfum mystérieux emplit.
La fleur de votre chair à l’aube doit éclore.
Divinement ressuscitée,
Diaphane, vêtue d’ineffable clarté,
La fleur de votre chair éblouira l’aurore.
II
Assumpta est ad aethereum thalamum.
Lys souriant par la Mort incliné,
Anémone qu’un transparent sommeil a close,
Votre corps jusqu’à l’aube repose.
Mais déjà le tombeau de gloire est couronné ;
Une jeune et vivante lumière,
En rayons vacillants a traversé la pierre ;
Le sépulcre est environné
D’une auréole diaphane et printanière.
Quand votre âme quitta les jardins de la terre,
Toutes les fleurs s’étaient divinement fanées.
Une tristesse musicale flotte et meurt
Encor sur les bosquets endoloris.
La nuit silencieuse pleure.
Le doux regard des scabieuses s’attendrit.
Le parfum vacillant des roses de Syrie,
Que votre sourire n’effleure,
Avec le chant léger des roseaux s’est flétri.
D’un long regret d’amour le beau jardin se meurt...
Enfin voici l’heure dorée.
L’aube en dansant monte sur les collines.
Ses roses et tremblantes mousselines,
Dans l’enclos de la mort soudain transfiguré,
Volent et s’illuminent.
À l’appel triomphant des musiques divines,
La pierre vaine du tombeau s’est déchirée.
Les symphonies du ciel pleuvent en larmes d’or
Sur le jardin et la prestigieuse aurore.
Le linceul lentement se déplie
Et la Vierge est debout dans le matin sonore
Et dans l’aube agitant sa divine folie.
Fleur de neige et d’azur,
Vêtue de blanc subtil et de bleu attendri,
Portant au pied la rose de Syrie,
Un or tiède et léger noyant sa chevelure, –
Mélodieuse et souriante épiphanie, –
La Vierge aux bras levés monte vers l’Infini.
Sous la gloire du jour et le jeune soleil,
Le jardin bien-aimé,
L’enclos que le Miracle un soir a parfumé,
Harmonieusement frémit et se réveille.
Les doux calices morts par sa joie ranimés
Se redressent, chantant leur cantique vermeil.
Elle s’est envolée sous la blancheur des nues,
Dans l’air aux transparences inconnues
Et qui retient le souffle de ses brises.
Seul un large rayon d’argent s’immobilise,
Marquant la route et la triomphale avenue.
Vierge, vous souriez dans les prairies du ciel.
Mais voici de nouveau qu’à vos destins fidèle,
Se lève la prodigieuse floraison,
Les lys qu’au soir du radieux appel
Un Ange fit germer à l’ombre de ses ailes
Et sous l’envol de votre candide oraison.
Votre sépulcre est une royale corbeille,
Où sourient des pétales voltigeants,
Parés de célestes abeilles.
Le jardin bourdonnant s’émerveille
Et son doux visage changeant
S’émeut de voir encor
Dans la tendre clarté monter les lys d’argent
Semant leur divin pollen d’or.
Ô fleur de Galilée,
Devant l’enchantement de votre gloire ailée,
La joie ondule aux bosquets étoilés.
Le jardin lumineux que votre amour effleure
Est un ruissellement de vivantes couleurs
Et votre envol dans l’aube immaculée
Fait éclater la résurrection des fleurs.
III
Quasi aurora valde rutilans.
La fluide liane a déployé son vol
Plus haut que les Carmels et les sommets d’argent.
L’aile des brises s’allégeant
À porté jusqu’au ciel l’ineffable corolle.
Au seuil des aériennes prairies,
Votre lumière infiniment calme sourit.
Ô nouvelle aurore pascale...
Tandis que vous allez, brillante, sous la pluie
Des radieux pétales,
Dans l’air sensible et pur comme un divin cristal,
Sans bruit,
Des anges ont volé, que votre amour conduit.
Ils portent vos couleurs en livrée virginale,
Votre blancheur de rêve et votre bleu royal ;
Ils flottent, indécis, comme un parfum s’exhale,
Mais, déployant soudain leurs vivantes soieries,
Aux yeux du Maître qui sourit,
Dans les hauteurs aux longs frissonnements d’opale,
Ils font, légère et vacillante orfèvrerie,
À votre apothéose un cercle triomphal.
– Emplissant l’immatérielle église,
Fragile essaim de libellules diaprées,
Des ailes chatoient dans la brise.
La pourpre, l’émeraude et la perle nacrée
Décorent la mystérieuse église.
L’air est un vol de pierreries transfigurées
Dont la splendeur diaphane s’irise
Aux feux d’un vitrail ignoré.
Mais, ruisselant d’une incomparable lumière,
Où toutes les couleurs du rêve sont fondues,
L’Ange, frère des lys, au jardin descendu,
Celui dont le poème crépusculaire
Vous transmit le divin salut,
Vient encore, inclinant ses ailes de mystère,
Aux pieds blancs de l’Élue,
Agenouiller de silencieuses prières.
* * *
Elle s’en va, parmi l’harmonieux silence,
Vers le trône où flamboie l’éternelle Présence,
Vers le Fils et l’Ami.
Voici l’instant de feu que l’Ange avait promis.
Un invisible émoi prend son vol et balance
Aux doigts des séraphins les cordes endormies.
Ô la céleste et radieuse impatience !
Les hymnes d’or ouvrent leurs ailes à demi...
Tout à coup dans l’ombre a frémi
Le glissando léger d’une harpe amoureuse.
À l’appel des accords veloutés,
Tout le concert s’est divinement exalté.
Orchestre aérien que l’amour illumine,
Un poème vivant a bondi et déploie
Son rêve en doux frémissements de soie.
Des anges enfantins dont vacillent les doigts
Caressent l’or d’une viole féminine ;
La flûte a dispersé tous les parfums des bois ;
Des cors aux lèvres argentines
Sonnent l’appel majestueux du Roi.
Sur la prestigieuse voie,
Où la Vierge, baignée d’aurore, s’achemine,
Le concert onduleux, sans trêve, dissémine
Les pétales de son extase et de sa joie.
Mêlant aux notes d’or la tendresse des voix,
Courbant des strophes en guirlandes cristallines,
Un long cortège humain devant vos pieds s’incline,
Ô Reine, et va chantant son indicible émoi.
Voici les âmes bienheureuses :
Les poètes dont les psaumes vous ont bercée,
Les aïeules de votre grâce précieuse,
Toutes les femmes qui ont passé,
Rêvant à la fleur de Jessé,
Le long des siècles nostalgiques et glacés.
Voici Ruth, la bonne glaneuse,
Vous saluant avec ses gerbes amassées,
Vous qui avez, sous une ineffable pensée,
Mûri le blé vivant pour l’hostie radieuse.
Tige frêle courbant sa fleur silencieuse,
La Reine de Saba, aux songes enflammés,
Vêtue de satin musical,
Vous apporte à genoux, en ses doigts embaumés,
Le charme transparent des nuits orientales.
Ô Reine des jardins fermés,
Vous qui avez connu, en un soir de cristal,
L’appel d’un Dieu et son poème nuptial,
Voici l’Épouse du Cantique parfumé,
L’amoureuse aux rythmes subtils,
Qui enchantait les aurores d’avril,
La femme devant qui tout le printemps vacille,
Celle qui dans les jours d’exil
Fut votre douce image et qu’on n’a pas nommée ;
Elle met à vos pieds ses chansons juvéniles,
Ô vous qui sûtes mieux aimer.
* * *
Or le Fils a penché comme pour un aveu
Son visage vers vos paupières demi-closes.
Voici l’heure que dans les matins blancs et roses
L’Enfant galiléen saluait de ses vœux.
Levant le bras divin qui modela les choses,
Suavement il posa,
De ses doigts immatériels, sur vos cheveux,
Une lumière en fleur soudainement éclose :
Ô diadème que l’amour rêve et compose,
Couronne par les mains des anges ciselée,
Que seul peut revêtir ce front immaculé...
Là-bas, se souvenant que vos pieds l’ont foulée,
Sensible à l’appel du mystère,
L’âme ingénue et musicale de la Terre
Devine votre gloire et s’est divinement troublée,
Car vous éternisez ses couleurs éphémères,
Vous avez revêtu ses charmes onduleux
Et vous transfigurez son fragile décor.
Vous êtes à jamais l’immarcescible aurore,
Les midis de candeur où la lumière pleut,
L’enchantement du soir sur l’étang qui s’endort,
Et la nuit diaphane et semée de lys bleus,
Où l’oraison, planant en de calmes accords,
Monte vers le ciel pur comme un poème d’or.
Maurice BRILLANT.
Recueilli dans Rosa mystica :
Les poètes de la Vierge,
du XVe au XXe siècle, s. d.