Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus
I. L’APPEL
La voix qui vous appelle,
Inexorable et douce, aux jardins du Carmel,
La voix suave et cadencée,
Qui chaque soir en vos pensées
Annonce une aurore surnaturelle,
N’est pas celle qui a les âmes terrassées
Sous une lumière aveugle et cruelle,
Et qui laisse la chair meurtrie et transpercée
Sur la route brûlante ou sur le sol glacé.
La voix qui vous appelle,
Mystérieuse et caressante, est celle
Qui fait s’épanouir la rose de Jessé,
Ou clôt pieusement les corolles blessées.
C’est l’haleine des lys,
Planant sur les jardins en vagues de délices ;
C’est la voix d’un beau rêve exalté,
Insinuante et musicale et qui se glisse
Au long des heures veloutées.
Ses ondulations molles vous envahissent ;
L’Enchanteur éternel a visité
Vos pensées qui s’évanouissent ;
Et vous cédez, et la pieuse volupté
Vous entraîne vers le jardin du sacrifice.
Des doigts de rêve ont pris vos mains qui obéissent.
Par un orchestre invisible escortée,
Sommeillante et grisée aux longs parfums des lys,
Vous cheminez selon les sinuosités
De son divin caprice.
Sortilège d’amour, une sérénité
Enveloppe pour vous l’autel et le calice.
II. SUAVITATEM DOLORIS
Pourtant vous avez dû gravir l’autel sanglant,
Pourtant vous avez bu le calice et souffert
Dans votre âme et dans votre chair.
Mais cette haleine d’or qui s’exhale en tremblant
De vos jours sombres et dolents,
Cette brume d’azur limpide et d’argent clair
Qui vole autour de vos rêves brisés,
Ce mirage qui change en lumière vos pleurs,
Cette musique de tendresse et de douleur
Voilant son lamento sous un rythme apaisé,
Prestiges incessants de votre vie en fleurs,
Souriaient sur votre âme crucifiée.
Le Dieu qui a lié
La gerbe épanouie de votre enfance,
En ses royales complaisances
Pouvait-il oublier
Le don suprême et merveilleux de la souffrance ?
Dans le cloître d’amour où vos rêves s’élancent,
Mille douleurs ingénieuses en silence
Sont descendues sur votre vie humiliée
Comme la neige des arbustes printaniers.
Sous les doigts qui la brisent,
Votre âme chante ainsi qu’un cristal de Venise,
Et dans la chambre blanche où vous agonisiez,
Votre corps soudain s’est irradié :
Blanche et rose comme la fleur de l’amandier,
Près de vous, dans l’ombre indécise,
La Douleur invisible et douce s’est assise,
Et sans trêve, de sa voix pâle qui s’irise,
Elle effeuille son antique psalmodie !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le temps indéfini ne déflorera pas,
Maintenant que la mort légère vous a prise,
Ce silence doré qui marche sur vos pas,
Ce tendre apaisement d’un vol que rien ne brise
Et dont la grâce au ciel amoureux s’éternise,
La divine langueur du cloître et des églises
Où votre âme s’endort et se volatilise,
Et la musique diaphane qui vous grise,
L’adagio sans fin de vos douleurs exquises.
Maurice BRILLANT.
Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,
poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,
Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.