Gabriel
À Mlle ANGÈLE MARCHAND.
Quand nous étions à l’Ermitage,
Vers l’ombrage d’un vieil ormeau,
Gabriel, berger du village,
Le malin guidait son troupeau.
C’était l’enfant de la nature,
Au sourire, aux mots ingénus,
Pauvre, courant à l’aventure,
La joie au cœur et les pieds nus.
Mais le pâtre avait en partage
De beaux cheveux blonds et flottants,
Des yeux vifs, un charmant visage
Et la candeur de ses huit ans.
Depuis longtemps sa mère veuve
Passait ses jours dans la douleur ;
Mais l’enfant n’a pas fait l’épreuve
De la souffrance et du malheur.
Aussi Gabriel, dès l’aurore,
Nous éveillait par ses chansons ;
Le soir sa douce voix encore
Retentissait dans les vallons.
Que de songes purs nous révèlent
Loin des villes ces simples chants
Qui dans les jours d’azur se mêlent
Au murmure, au parfum des champs !
Cependant la cloche plaintive,
Sonnant un jour dès le matin,
Vint dire aux échos de la rive
Que l’enfant était orphelin.
L’infortuné suivit sa mère,
Pleura longtemps dans le saint lieu ;
Sur la rosse du cimetière
Tout seul pour elle il pria Dieu.
Le lendemain vers la prairie
L’orphelin dirigeait les pas
Du troupeau de la bergerie ;
Mais, hélas ! il ne chantait pas…
Pendant deux mois, dans la campagne
Il allait, venait tous les jours,
Mais du val et de la montagne
Les échos se taisaient toujours.
Souris encore à l’espérance ;
Gabriel, reprends ta gaîté ;
Le souvenir de la souffrance
Par le temps veut être emporté.
Enfin un jour dans la feuillée
De Gabriel la douce voix
De son long silence éveillée
Frappa les airs comme autrefois.
Tout-à-coup cette voix sonore
S’arrête… et nos sens suspendus
Attendent d’autres chants encore...
Mais l’orphelin ne chanta plus.
Que faisait-il donc solitaire ?
Pourquoi ce silence nouveau !
Nous approchons avec mystère...
Il était près du vieil ormeau.
Là, tourné vers le cimetière,
Le pauvre petit Gabriel
À genoux disait sa prière,
Les mains jointes, les yeux au ciel.
Des larmes sur son beau visage
Brillaient et renaissaient toujours :
Déserts du cœur, au premier âge,
Qui sait vos déchirants retours !
Devant cet enfant qui soupire
Et verse des larmes de deuil,
Qui, sur la terre, oserait dire
Que tout s’éteint dans le cercueil ?
BURGADE.
Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1860.