La femme à l’enfant
Ma mère aux longs cheveux tu figures la Vierge
La Vierge un soir d’hiver en une salle d’auberge
Il est des gens nombreux et comme au Moyen Âge
On touche la servante et l’on brise les tasses
Ce tableau d’autrefois n’est dans aucun musée
Mais tu as les yeux bleus des riches épousées
Dans les faïences du vaisselier de noces tu te mires
Parmi les coqs tu mets les fleurs de ton sourire
Tu es toute tristesse pour les buveurs qui battent
Leurs chiens maigres à grands coups de savate
Et tu me montres à tous en t’excusant un peu
De promener cette lumière au-dessus d’eux
Les nuits d’hiver sont comme lampes à pétrole
Fumeuses et chargées d’un détestable alcool
Si bien qu’on ne voit plus les poils ni les rousseurs
D’un braconnier qui joue dans l’ombre au Donateur
Et qui mêle des doigts les valets et les reines
En balançant l’atout comme on lance la graine
Un soir de lents corbeaux dans un ciel plein de vent
Qu’elle vive à jamais dans le cœur de l’enfant !
René-Guy CADOU,
L’aventure n’attend pas le destin, 1947-1948.