Nocturne
Maintenant que les seuls trains qui partent n’assurent plus la correspondance
Pour toutes ces petites gares ombragées sur le réseau de la souffrance
Oh ! je crois bien que ce sera à genoux
Mon Dieu ! que je me rapprocherai de Vous !
Le plus beau pays du monde
Ne peut donner que ce qu’il a
Myosotis ici et là
Mais beaucoup d’herbe sur les tombes !
Ô mon Dieu j’ai tellement faim de Vous tellement besoin de savoir
Qu’un couvert en étain serait le bienvenu dans le plus modeste de vos réfectoires
Que la cuisine soit bonne ou fade nous ne sommes point ici à l’Office
Laissez-moi respirer l’odeur des fleurs qui sont sur les tables et qui ressemblent à des lis !
Je crois en Vous Hôtelier Sublime ! Préparateur des Idées justes et des plantes
N’allez pas redouter surtout quelque conversion retentissante !
Et qu’un tel ait choisi le pain dur et le sel
Soyez sûr qu’il n’y a rien là que de strictement personnel
Considérez que je vous suis parent par quelque femme de village
Et par quelque vaurien d’ancêtre
L’une adorait votre Visage
L’autre s’est payé votre tête
Je fais effort ! Je voudrais marcher à vos côtés et vous lire des vers
Mais il y a ces relais si reposants dans les limites de la Terre
Ah ! je me suis conduit de façon ignoble dans les cafés
En présence de Vous j’eus toujours l’air impatienté
C’est pourquoi me voici plus seul encore plus veule
Avec ce masque d’Arlequin trop triste sur ma gueule
Pardon Seigneur ! Pardon pour vos églises
Et si j’ai galvaudé dans les champs
Si j’ai jeté des pierres dans vos vitres
C’est pour que me parvienne mieux Votre Chant !
Qu’il fût porté par des oiseaux ou à voix d’homme
Jeté là comme un bock sur le comptoir de l’harmonium
Ou dans l’air comme un col de violon
À neuf heures du soir qu’elle était belle la Religion !
Ah ! j’aurais pu tout comme un autre être choriste
Et grappiller de long en large le corps du Christ !
Mais tous ces blés en feu dans les cristaux du soir se reflétant
C’était Vous si intimement
Qu’il suffisait alors de pousser la fenêtre
Pour que la joie pénètre et pour Vous reconnaître
Que n’ai-je su Vous arrêter
Quand Vous alliez entre les saules
Les bois de Justice à l’épaule
Comme un pêcheur au carrelet ?
Car maintenant tout est devenu subitement si difficile
À cause de cette pudeur en moi et de l’orgueil également imbécile
Que je voudrais ramper vers Vous j’en serais encore empêché
Par cette dérision de l’Acte qui est dans l’ordre de la Société
Mais Vous quand Vous mourûtes sur le Golgotha
Dites ! Qu’est-ce que ça pouvait Vous faire le ricanement de ces gens-là ?
Si je reviens jamais de ce côté-ci de la terre
Laissez-moi m’appuyer au chambranle des sources
Et tirer quelque note sauvage de la grande forêt d’orgue des pins
Ô mon Dieu que la nuit est belle où brille l’anneau de Votre Main !
Tous ces feux mal éteints dans l’air et ces yeux de matous en bas qui leur répondent
Ce cri d’amour fondamental qui est celui de notre pauvre monde !
En d’autres temps j’eusse été moine ou bien garder les vaches
Et pourquoi pas dans une léproserie de village
Maniant les doigts dans le soleil
Heureux celui qui naît en juin parmi les nielles
Il connaît la beauté des choses éternelles !
Oh ! sur l’ardoise du Ciel si l’on tient compte
De ce pays sans charme où je suis né
Si l’on juge à propos mes larmes
Seigneur ! je suis exonéré ?
Qu’il soit coupable non-coupable
Toujours en peine de son Dieu
Qu’on lui serve pour vin de table
La rosée lustrale des Cieux !
René-Guy CADOU,
Les Biens de ce monde, 1949-1950.