Mirage

 

 

Les labours d’automne ont vêtu de bure

      Les champs mornes, dépouillés ;

      Dans les vignobles rouillés

L’homme a fait butin de vendange mûre.

 

La route sinue ainsi qu’une ligne

      Mélodique de plain-chant

      Qu’en double rang flamboyant

De feuillage ardent les buissons soulignent.

 

Sur le déploiement vaste que ce thème

      Musical trace à travers

      Champs et vignes, tels des vers

Massifs, les arbres scandent un poème.

 

Ô strophes d’or sourd ou vibrant que chantent

      Noyer sombre ou frêne clair

      Et que prolongent dans l’air

Des arpèges lents de feuilles tombantes !

 

Ô ruissellement par le paysage

      Du flot roux des frondaisons

      Quand l’appelle aux horizons

La forêt qui flambe en rouge mirage !

 

De vos rangs serrés monte un bruit de houle

      Pèlerins feuillus marchant

      Vers les portes du couchant,

Peuple végétal que l’Hiver refoule.

 

Où donc les feuilles s’en vont-elles,

      Pour gagner des cieux plus cléments

      Ont-elles des rassemblements

Comme leurs sœurs les hirondelles ?

 

Les divins là-bas !... Cette nostalgie

      Hante nos rêves d’exil,

      Aussi l’Automne voit-il

Les hommes s’unir à sa liturgie.

 

Quand, sur les lointains, le soleil se couche

      Les voilà fous de l’espoir

      Que peut-être au fond du soir

Enfin, pour de bon, terre et ciel se touchent !

 

Les fauves toisons des arbres les guident

      Vers ce point de jonction

      En longue procession

En un fleuve d’or et bronze fluide.

 

Rentrons, veux-tu ? Du sortilège

      Ne gardons que le souvenir.

      J’ai froid. L’hiver va revenir

Avec son maussade cortège.

 

À grands coups de fouets sacrilèges

      Laissons la bise dévêtir

      Les arbres ; pour ensevelir

Les feuilles, que neige la neige !

 

Viens-t’en chez moi, j’y ai du feu

Des livres chers, des rêves bleus,

Et pour peu que tu t’abandonnes

 

Entre l’enclos de mes deux bras

Le fol amour te conduira

Où nous voulions suivre l’automne.

 

 

 

André CAILLOUX, Fredons et couplets,

Beauchemin, 1958.

 

 

 

 

 

 

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