Toussaint
L’automne a déroulé son languissant poème.
Le soleil des beaux jours agonise et s’éteint.
Dans les ternes brouillards fleurit le chrysantème
Et son odeur amère annonce la Toussaint.
C’est un temps de répit pour notre âme agitée
Quand nous venons alors visiter les tombeaux ;
Le Héros de théâtre, la scène quittée,
Se retrouve un acteur affublé d’oripeaux.
Dans le jardin des morts, les vivants sont sincères,
Ils jettent bas leur masque et leur déguisement.
Sur le bord de la fosse où reposent leurs pères
Ce qui mentait encor s’écroule à ce moment.
Une même tristesse empreint tous les visages
Mais dans les yeux en pleurs une espérance luit
Qui semble le reflet des éternels rivages
Dont la Foi montre au loin les phares dans la nuit.
Nous avançons, courbés, sans bruit, comme des ombres,
Pensant aux êtres chers tour à tour escortés
Jusqu’au dernier logis, cellule étroite et sombre,
Vestibule d’angoisse ouvrant sur la clarté.
Sous le ciel nébuleux, tendu comme un suaire,
Monte un murmure sourd, triste et doux à la fois
Tandis que gravement, sur la foule en prière,
Un archange muet trace un signe de croix.
2 novembre 1946.
André CAILLOUX, Fredons et couplets,
Beauchemin, 1958.