Ballade du vieux troubadour
Je suis chantre de Bel Amour,
Plein de douceur et courtoisie ;
Je sais tourner galants discours
Et ma cervelle est plus farcie
De vers que de théologie.
Par les castels, villes et bourgs
Je trôle où veut ma fantaisie,
Joyeux poète et troubadour.
L’homme de guet dessus la tour
Quand il me voit, se penche et crie :
« Oh là ! Le ménestrel accourt... »
Et moi, par chants et jongleries
Je réjouis la compagnie.
La Dame dit : « Reçois-en pour
Cette escarcelle bien garnie
Joyeux poète et troubadour. »
Les ans m’ont fait chétif et gourd,
Déjà sur la vielle assourdie
Ma main se sent les doigts plus lourds
En poursuivant la mélodie.
Mais, dans sa gangue refroidie,
Mon cœur ardent chante toujours !
Je suis resté, sans menterie,
Joyeux poète et troubadour.
Bientôt viendra mon dernier jour !
Devrai partir pour l’autre vie
Dont nul jamais ne fit retour ;
Las, suis trop pauvre en œuvres pies ;
Le grand portier, n’en voyant mie,
Fermant la porte à double tour
Dira : « Va cuire où l’on expie,
Joyeux poète et troubadour ! »
Envoi
Rendez-moi sauf, Sainte Marie,
Et pour ce faire, à votre cour,
Me nommez, vite, je vous prie,
Joyeux poète et troubadour.
André CAILLOUX, Fredons et couplets,
Beauchemin, 1958.