L’enfant et le curé
Près du foyer où la flamme a relui,
Un vieux curé, refermant son bréviaire,
Dit à l’enfant pensif auprès de lui :
« Tu pars demain... je le tiens de ta mère...
« En ce vallon, rien ne plaît à tes yeux.
« Du jour, Joseph, où tu vis l’équipage
« D’un parvenu s’arrêter en ces lieux.
« Crois ton curé, le parti le plus sage,
« C’est, mon enfant, de rester au village.
« – S’il s’enrichit, ce grand de l’autre jour,
« Simple berger qui voulut de la ville...
« – Pourquoi pas moi ? dit Joseph, à son tour.
« – Ami, tu crois le succès si facile !
« Que de bergers, jaloux d’un meilleur sort,
« N’ont rencontré sur un lointain rivage
« Que l’insuccès, la misère et la mort ?
« Crois ton curé, le parti le plus sage,
« C’est, mon enfant, de rester au village.
« Sous le soleil, quand reverdit pour toi
« Un petit champ autour d’une chaumine,
« Reste au village, où l’on garde la foi,
« Fuis les cités, où le vice domine.
« À l’étranger, que de fils des vallons
« Ont écouté ce perfide langage :
« Pour s’enrichir tous les moyens sont bons...
« Crois ton curé, le parti le plus sage,
« C’est mon enfant, de rester au village. »
« – Le parvenu, dit l’enfant soucieux,
« Ne va-t-il plus le dimanche à la messe ? »
« – Sur ce point-là, vois-tu... fermons les yeux :
« Mais, de ce grand sache au moins la tristesse,
« Sache, ô mon fils, que, malgré tout son or,
« Gronde en son cœur, comme un brûlant orage,
« L’âpre désir d’augmenter son trésor,
« Crois ton curé, le parti le plus sage,
« C’est, mon enfant, de rester au village.
« Puis, mou ami, songe que ton départ
« Achèverait les vieux ans de ta mère :
« Déjà la mort était dans son regard
« Quand elle vint pleurer au presbytère ;
« Fais-la mourir,... et puis compte sur Dieu ! »
Lors, de ses pleurs inondant son visage,
Pour les cacher, se penchant sur le feu,
« – Oui, dit Joseph, le parti le plus sage,
« C’est, je le vois, de rester au village. »
Jacques-Henri CALLIES.
Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,
publié par Charles Buet, 1889.