Je lutterai
Dans ce fleuve inconstant qu’on appelle la vie,
Tout parsemé d’écueils où l’orgueil et l’envie
Se partagent nos jours ;
Je vois mon frêle esquif battu par la tempête,
Le tonnerre gronder au-dessus de ma tête
Et s’enfuir mes amours !
J’avais cependant bien, dans ma tendre jeunesse,
Rêvé le doux bonheur, la joie enchanteresse,
Un meilleur avenir ;
Mais le songe est parti comme une ombre légère,
En laissant dans mon cœur une douleur amère
Que je n’en puis bannir !
Le malheur, tous les jours, comme un hideux fantôme
M’apparaît et me dit : « Courbe ton front, atôme,
Devant l’adversité ;
Ne crois pas m’échapper, je te tiens, sois ma proie !
Pour toi plus de douceur, plus de suave joie,
De belle liberté.
« Depuis tes jeunes ans je te suis sans relâche.
Te laisser maintenant serait le fait d’un lâche.
Oh ! non tu m’appartiens.
Jusqu’à ton dernier jour tu seras ma victime ;
Sous tes pas tu verras toujours un noir abîme,
Et je te dirai : Viens !
« Et malgré tes efforts, ta juste répugnance,
Tes cris et tes sanglots, ton horrible souffrance,
Tu me suivras, vois-tu ;
Car contre mon pouvoir lutter est inutile :
Quand je veux, c’est assez ; tout effort est futile,
Et tu seras battu ! »
– Eh bien ! je lutterai ! je veux rompre la chaîne
Qui depuis si longtemps à tes ordres m’enchaîne,
Ô terrible malheur !
L’honneur et le travail font oublier les larmes ;
Pour te vaincre, à mon tour, je trouverai des armes,
Et je serai vainqueur !
Alors, autour de moi, la paix et la concorde,
Avec tous les plaisirs que l’amour nous accorde,
Viendront te remplacer ;
Je remercierai Dieu, notre espoir, notre maître,
Heureux, en te voyant pour toujours disparaître,
D’avoir pu te chasser !
A. CANAL.
Paru dans Poésie, 11e volume
de l’Académie des muses santones, 1888.