L’ange de la poésie
À M. de Lamartine.
Ô toi dont le cœur m’abandonne,
Pourquoi, par un cruel affront,
Loin de toi jeter la couronne
Dont j’ai paré ton noble front ?
As-tu donc oublié les jours de ton enfance,
Ces jours que je t’ai faits si beaux et si riants,
Et faut-il rappeler à ta reconnaissance
Les bienfaits dont ma main combla tes jeunes ans.
Pour toi j’abandonnai les voûtes immortelles,
Je couvris ton berceau de mes brillantes ailes,
J’appelai près de toi les songes enchanteurs,
Et de ma harpe d’or la divine harmonie
Écartant la triste insomnie,
Calma tes premières douleurs.
Quand du monde la vaine idole
T’offrit ces charmes mensongers
Je te fis découvrir de son culte frivole
Les déplaisirs et les dangers.
Viens, te dis-je, ô mon fils, viens dans la solitude
Chercher loin des cités la paix et le bonheur,
Crains de l’ambition le souffle empoisonneur,
Car livrant au dégoût, à l’âpre inquiétude,
Tes jours de poésie et d’amour et d’étude,
Elle anéantirait les rêves de ton cœur !
Oh ! viens ! je t’apprendrai cette langue immortelle
Qui charme des élus les célestes loisirs ;
Et je t’enivrerai d’ineffables plaisirs,
Et te couronnerai d’une gloire si belle
Qu’elle surpassera tes plus vastes désirs !
Tu me crus, et prêtant l’oreille,
Aux sons harmonieux que ma voix te dicta,
Pour ouïr de tes vers la sublime merveille
Le siècle étonné s’arrêta.
Et tu veux, abdiquant la gloire poétique,
Par de nouveaux chemins tenter un autre sort !
Tu veux, pour débrouiller le chaos politique
Essayer un stérile effort !
Ah ! de ta voix trop pure et trop mélodieuse
On ne comprendra pas les élans généreux ;
Ses accents, au milieu de la clameur haineuse
Où rugit des partis la rage ambitieuse
Expireront infructueux.
Lorsque d’impurs oiseaux, fondant sur une proie,
Se disputent entre eux ses lambeaux tout sanglants,
Au cri de leur colère ou de leur triste joie
Le cygne harmonieux vient-il mêler ses chants ?
Fuis, comme lui reprends cette harpe sonore
Que la France accueillit avec des cris d’amour ;
Abjure ton erreur que l’amitié déplore ;
Ange égaré, revole au céleste séjour !
Mais, dis-tu, la patrie en ces jours de tempête
Commande le silence aux bardes attristés ;
Honte à qui peut chanter quand l’orage s’apprête,
Quand le deuil couvre au loin les champs et les cités.
Oui, tout pour ton pays ! eh bien ! saisis ta lyre !
Cède, nouveau Tyrtée, aux sublimes élans
D’un patriotique délire !
Je mettrai dans ta voix de magiques accents
Et des foudres de poésie !
Interprète des cieux, c’est par de nobles chants
Qu’un mortel inspiré peut servir sa patrie !
Jules CANONGE, Les Préludes, 1835.