Conseils
Puisque éphémère est toute joie,
Tout beau jour sans beau lendemain,
Puisque l’orage se déploie
À l’horizon le plus serein,
Ami, si tu veux sur la terre
Un bonheur de plus d’un matin
Et trouver un peu moins amère
Cette liqueur que le destin
Mêle au nectar de ton festin,
Écoute le secret de vivre :
Il faut que ton cœur se délivre
De tous les soins de l’avenir.
Sans prévoir le jour qui doit suivre,
Jouis du jour qui va finir.
Que ta voix ne soit point amère ;
Au soleil ne demande pas
Pourquoi, nous voilant sa lumière,
Si longtemps il laisse la terre
Languir sous le poids des frimas.
Aux vents, pourquoi leur froide haleine,
Au lieu de féconder la plaine,
Ravage les champs attristés.
À l’Océan, pourquoi sa plage
Étale, horrible après l’orage,
Les débris sanglants du naufrage,
Aux matelots épouvantés.
Des lois que fit la providence
Tu ne connais point les secrets ;
Résigne-toi donc en silence
À ses immuables décrets.
Mais, quand le ciel à ta paupière
Prodigue un éclat généreux
Enivre-toi de sa lumière,
Sans songer aux jours ténébreux ;
Et quand, sur l’onde harmonieuse,
Vers le port où rit le bonheur
Glisse la nef aventureuse,
Livre au plaisir ton jeune cœur ;
Sans penser qu’un souffle rapide
Peut changer en gouffre homicide
Ce flot si doux et si limpide,
Ces concerts en horrible bruit
Et ce beau jour en sombre nuit.
Quand la gloire ou l’amour couronne
Ton front où l’ivresse rayonne,
Sans trouble si tu veux jouir,
Ne va pas sonder ton plaisir ;
Car ici-bas le ver se cache
Dans le fruit le plus savoureux,
Et l’acide rongeur s’attache
Au métal le plus radieux.
Si le fracas de la tempête
Vient à gronder, courbe la tête,
Élève ton cœur vers le ciel,
Entonne un hymne à l’espérance ;
Car, si jamais la jouissance
N’est durable et pure de fiel,
Du malheur l’étreinte cruelle
N’est jamais non plus éternelle,
Et le divin consolateur
Descend vers nous, quand sans murmure
Notre âme résignée endure
Les outrages et la douleur !
Jules CANONGE, Les Préludes, 1835.