Le départ
NÎMES. 1832.
Je fuis la riante contrée
Où, près d’une mère adorée,
Coulaient si doux mes jeunes ans ;
Cédant au feu qui me dévore,
Je vais d’un monde que j’ignore
Essayer les flots inconstants.
Cependant, pour moi l’existence
N’avait point d’amers déplaisirs ;
L’avenir brillait d’espérance,
Et du présent la jouissance
Semblait suffire à mes désirs.
Quel est donc le fatal prestige
Qui m’aveugle de son vertige ?
Où tend ce vol précipité ?
Contre une incertaine chimère,
Pourquoi d’un sort aussi prospère
Échanger la réalité ?
Ah ! demandez pourquoi cette onde
Va dans sa course vagabonde,
Se perdre au sein des vastes mers ?
Pourquoi sur la foi d’une étoile,
Aux vents trompeurs livrant sa voile,
Le nocher fend les flots amers ?
À ce penchant irrésistible
Qui toujours loin du port paisible
Entraîne nos destins errants,
Nous cédons, comme l’hirondelle
Cède à l’instinct qui la rappelle
Aux bords où renaît le printemps.
À la jeunesse impatiente
En vain l’amitié bienfaisante
Promet un bonheur calme et pur ;
En vain, respecté des tempêtes,
Le ciel arrondit sur nos têtes
Sa voûte de pourpre et d’azur ;
L’âme toujours est inconstante,
Elle rejette indifférente
Les plaisirs qu’elle a trop connus,
Il lui faut de nouveaux rivages,
Et, même à travers les orages,
Des cieux qu’elle n’ait jamais vus.
N’est-il pas bien, près de sa mère,
L’aiglon qu’une plume légère
Couvre à peine de son duvet ?
Pressé d’un désir inquiet,
Pourquoi donc quitte-t-il son aire ?
C’est que, des hautes régions
Se frayant les routes nouvelles,
Il veut, fier de ses jeunes ailes,
Du soleil braver les rayons.
Mais, hélas ! à peine il s’élève,
Qu’un souffle impétueux l’enlève
Et punit son vol insensé.
Ou que des clartés foudroyantes
Frappant ses paupières tremblantes
Il tombe et périt fracassé....
Ah ! détournez ce noir présage,
Dieu protecteur, Dieu consolant !
N’est-il pas bien, près de sa mère,
L’aiglon qu’une plume légère
Couvre à peine de son duvet ?
Pressé d’un désir inquiet,
Pourquoi donc quitte-t-il son aire ?
C’est que, des hautes régions
Se frayant les routes nouvelles,
Il veut, fier de ses jeunes ailes,
Du soleil braver les rayons.
Mais, hélas ! à peine il s’élève,
Qu’un souffle impétueux l’enlève
Et punit son vol insensé.
Ou que des clartés foudroyantes
Frappant ses paupières tremblantes
Il tombe et périt fracassé....
Ah ! détournez ce noir présage,
Dieu protecteur, Dieu consolant !
Prenez pitié de mon jeune âge,
Et ramenez vers le rivage
Ma nef qui s’égare un moment !
Ramenez-moi, pour que ma mère
N’ait point, au bout de sa carrière,
À verser des pleurs douloureux,
Et qu’en ce monde elle commence
À jouir de la récompense
Que vous lui gardez dans les cieux !
Jules CANONGE, Les Préludes, 1835.