L’éphémère
Il est un insecte éphémère,
Dont l’existence passagère
Éveilla souvent mes désirs ;
Un insecte dont la vieillesse
Riante comme sa jeunesse
Ne survit point à ses plaisirs.
Fils du matin, avec délice
Il savoure le frais calice
De la fleur qui fut son berceau,
De la fleur qui le soir encore
Avant qu’elle se décolore
Sera son odorant tombeau ;
Car celui dont la providence
Sur la plus fragile existence
Dans les cieux veille avec amour,
N’a point voulu que la nuit sombre
Attriste jamais de son ombre
Son regard créé pour le jour.
Il n’est plus, avant que la terre
Perde avec l’astre qui l’éclaire
Tout le charme de ses couleurs,
Avant qu’à sa frêle nature
De la nuit l’humide froidure
Ait fait connaître les douleurs ;
Et, comme la naissante aurore
Embellit son riant matin,
Son heure suprême rayonne
De tout l’éclat dont s’environne
Le roi du jour à son déclin.
Heureux insecte ! oh ! que ne puis-je
Comme toi, lorsqu’un doux prestige
Enivre mon cœur et mes sens,
M’envoler loin de cette terre
Avant qu’un souffle délétère
Ait défloré mes jeunes ans.
Dans ce monde où l’âme immortelle
Voit naître une clarté nouvelle
Que nulle ombre ne peut ternir,
La mienne souriante et pure
N’emporterait de la nature
Aucun pénible souvenir.
Mais non ! il faut que les ténèbres
Sur nos jours s’étendent funèbres !
Et depuis l’heure où le Seigneur
Nous condamne au tourment de vivre
Jusqu’à celle qui nous délivre,
Tout s’accomplit dans la douleur.
Jules CANONGE, Les Préludes, 1835.