Les tourbillons d’insectes
IDYLLE.
Mentionnée et insérée au recueil
de l’Académie des jeux floraux en 1824.
Que j’aime, aux champs où je médite,
à suivre d’un œil curieux
Ces jolis insectes qu’agite
Un zéphir capricieux !
À voir leur phalange incertaine
Hâter ou ralentir son vol,
Quand le souffle qui la promène
Dans les cieux rapide l’entraîne
Ou la ramène vers le sol !
À la voir, forme passagère
Tantôt sur un nuage obscur
Se découper blanche et légère,
Et tantôt nager dans l’azur !
Si dans sa course aventureuse
Apparaît un brillant rayon
Vers lui, bourdonnante et joyeuse,
Précipitant son tourbillon,
Elle s’enivre de lumière,
Sa pâle aigrette à ma paupière
Éclate en prisme radieux.
Et d’une danse fantastique
Son vol harmonieux, magique,
Retrace en fuyant tous les jeux.
Et moi, séduit par un prestige,
Je crois voir aux feux du soleil
L’essaim des sylphes qui voltige
Et se balance sur la tige
Des fleurs au calice vermeil !....
Mais l’astre a voilé sa lumière,
Et ma vision mensongère
S’évanouit, comme au réveil
Disparaît le songe éphémère
Qu’enfante un pénible sommeil.
Mon œil, qui la cherche dans l’ombre,
Ne voit plus qu’un nuage sombre....
Et je dis, pensif et chagrin :
Nous aussi, trop légers fantômes,
Nous cédons, comme ces atomes,
Au souffle mortel du destin !
Un moment sur notre existence
Le beau soleil de l’espérance
Répand ses rayons enchantés.
L’amour, la gloire nous enivrent,
Imprévoyants nos cœurs se livrent
À de trompeuses voluptés...
El c’est alors que la tempête
S’amoncelle sur notre tête
Et nous dérobe le chemin
Où souriait la jouissance ;
C’est alors que pour nous commence
La nuit qui n’aura point de fin !
Point de fin ! qu’ai-je dit ? Blasphème !
Ah ! Dieu puissant, bonté suprême,
Pardonne à cet égarement !
Non, si ma vie était bornée
À la terrestre destinée
Qu’embrasse un rapide moment,
Tu ne m’aurais point fait une âme
Qu’emportent des ailes de flamme
Vers les cieux où ton astre luit,
Tu n’aurais point sur ma paupière
À torrents versé la lumière
Pour la replonger dans la nuit !
Jules CANONGE, Les Préludes, 1835.