Renouveau
À M. BENJAMIN SULTE
Le doux printemps vient de paraître
Sous son manteau de velours vert,
Et déjà l’on voit disparaître
Tous les vestiges de l’hiver.
Son œil a l’éclat de la braise :
À la chaleur de ses rayons
Naissent lilas, fleur, rose et fraise.
Abeilles d’or et papillons.
Les arbres engourdis naguère
Semblent dresser plus haut le front,
Car la nature, en bonne mère,
Verse la sève dans leur tronc.
Au plus épais de la ramure
Les oiseaux préparent leurs nids,
Sans s’occuper si la pâture
Ou le lin leur seront fournis.
Du sol jaillit plus d’une source
Que la froidure emprisonnait ;
Et le ruisseau reprend sa course
À travers clos et jardinet.
Sur le bord de maintes rivières
L’on voit le castor vigilant
Transporter le bois et les pierres
Pour bâtir son gîte étonnant.
La brise, sylphide légère,
Fait la cour à toutes les fleurs,
Puis vole embaumer l’atmosphère
Des plus enivrantes senteurs.
De la cime de nos montagnes
Se précipite le torrent
Qui fertilise nos campagnes
Avec les eaux du Saint-Laurent.
À nos fenêtres, l’hirondelle
S’annonce par des cris joyeux ;
Elle revient à tire-d’aile
Charmer les jeunes et les vieux.
Au palais comme à la chaumière,
La porte s’ouvre à deux battants :
Riche et pauvres ont soif de lumière
D’air pur, de parfums odorants.
Parfois l’on quitte sa demeure
Pour aller prendre un gai repas
Sur la pelouse où toute à l’heure,
Bébé fera ses premiers pas.
Plus loin les colons sur leur terre
Travaillent courageusement
À l’œuvre utile et salutaire
Qu’on nomme le défrichement.
Les uns creusent, les autres sèment
Ou bien coupent les arbres morts ;
Ces braves bûchent, chantent, s’aiment
Et dorment la nuit sans remords !
La fillette en robe de bure
Chante et cultive tout le jour ;
Le soir venu, sa lèvre pure
Dira peut-être un mot d’amour !...
Oui, l’homme, les oiseaux, les plantes
Et l’onde aux bruits mystérieux
Mêlent leurs voix reconnaissantes
Pour célébrer le Roi des cieux.
Car tout ce qui vit et respire,
Tout ce qui chante, pleure ou croit,
Reconnaît qu’il est sous l’empire
D’un esprit souverain et droit !
Printemps, réveil de la nature,
Oh ! sois le bienvenu toujours !
Quand tu parais, la créature
Espère encore des beaux jours !
C’est toi qui donnes à la plaine
Son riche et moelleux vêtement ;
C’est toi qui fais germer la graine
D’où sortira notre aliment !
C’est toi qui rends au pulmonaire
La force et souvent la santé ;
C’est toi que l’Indien vénère
En recouvrant la liberté !
*
* *
Ô printemps, messager céleste,
Admirable consolateur
Ton éclat seul manifeste
La puissance du Créateur !
4 juin 1887.
J.-B. CAOUETTE,
Les voix intimes, 1892.