L’œuvre d’art

 

                                       POÈME

 

 

La chair des fils d’Adam est la demeure obscure

Dans laquelle je dois, pour un temps habiter ;

Mais son ombre me plaît, quand je veux méditer

Sur mon exil présent et ma gloire future.

 

La brute vit : elle aime, elle agit, elle dort ;

Le chêne est pénétré de soleil et de sève ;

Un frisson court dans l’eau marine et la soulève ;

Mais le marbre des monts est immobile et mort.

 

Phidias intervient. La matière asservie

À ce maître, subit son fier commandement ;

La pierre épaisse, bloc impassible et dormant,

S’éveille entre ces mains qui lui donnent la vie.

 

Par lui, dans celle masse, où rien ne remuait,

Le sang palpite, l’œil sourit, le cœur soupire.

Créateur éloquent, il sait tout faire dire

À ce Paros qui parle un langage muet.

 

Ainsi, quand Phidias enfante une œuvre insigne,

Il unit, pour toujours, en elle, étroitement,

À l’être inanimé, le principe animant,

La pensée à l’objet qui n’en est que le signe.

 

De même, jusqu’au jour du mutuel adieu,

Homme, je n’aurai pas une autre destinée

Que celle d’être toute à toi, dans l’hyménée

De la fange natale et du souffle de Dieu.

 

Nous sommes l’œuvre d’art entre toutes sublime,

La mystique union du marbre et de Psyché.

Toi, la statue, et moi, l’ange en elle caché,

Nous portons, tous les deux, la même chaîne intime.

 

Je mets en toi, mortel, mon immortalité ;

En toi comme l’esprit dans le signe sensible

Je rayonne, splendeur pure, mais invisible.

Corps inerte, je suis la forme cita beauté.

 

 

 

Cte A. de CARNÉ.

 

Paru dans Les Causeries en 1927.

 

 

 

 

 

 

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