Symphonie séraphique
Or, les célestes intelligences sont douées d’un mouvement circulaire
qui les fait graviter, sans commencement et sans fin,
vers les splendeurs éternelles du beau.
DENIS l’Aréopagiste
(Pseudo-Dionysius).
Les ombres du sommeil ayant voilé mes yeux,
Je vis et j’entendis, en rêve, au fond des cieux,
Le chœur des SÉRAPHINS chanter dans la lumière :
Tout le cosmos, tout l’univers éblouissant,
Tout, depuis l’être brut jusqu’à l’être pensant,
Sur deux courbes se meut, sans repos. La première
Retient le vol perpétuel et mesuré
Des astres, dans les champs de l’éther azuré ;
C’est l’ellipse, trajet constant de la matière.
L’autre, comme Denys, Paul et Jean l’ont appris,
Est celle où, constamment, gravitent les esprits,
Et c’est le cercle, mer aux formidables ondes,
Ayant pour centre Dieu, pour rayon l’infini.
Ainsi, tout le profond mystère est défini
Dans sa cause adorable et ses causes secondes ;
Ainsi, tout resplendit : l’auteur du mouvement
Sur deux orbes sans fin et sans commencement
Entraîne, autour de lui, les anges et les mondes.
Au troisième séjour des merveilles du ciel
Les TRÔNES, dont le chef insigne est Raphaël,
Exultent, vigoureuse et fière multitude.
Temples où l’hypostase ineffable sourit,
Sièges d’or que le Père, et le Fils, et l’Esprit
Daignent combler de leur immense quiétude,
Sans faiblir comme Atlas courbé sous les faux dieux,
Ils portent le fardeau de l’Être radieux,
Dans le calme, la force et la béatitude.
Entre eux et nous, tenant la zone du milieu,
Les CHÉRUBINS, extasiés, contemplent Dieu.
Fixés en lui par leurs invisibles constances,
L’insatiable soif de savoir creuse, en eux,
Des gouffres de désir, des puits vertigineux.
Abîmes implorant l’Abîme, leurs substances
Boivent, avidement, l’auguste vérité,
Et la gnose, pendant toute l’éternité,
Déverse, en eux, ses flots de voluptés intenses.
Mais nous sommes plus grands encore, étant plus près
De l’arcane et de ses majestueux secrets.
Celui qui nous a fait ses confidents intimes,
Sur nous laisse descendre une telle clarté,
Qu’elle passe en fraîcheur, en gloire, en royauté,
Le lis blanc du Cantique et la neige des cimes.
L’Étoile du matin, seule, au-dessus de nous.
Dans la grâce éternelle a des rayons plus doux
Que les nôtres, et des puretés plus sublimes.
Or, cette incomparable et princière splendeur,
Ces dons prestigieux de céleste candeur,
Que sont-ils, en dépit de leur magnificence ?
Des délices qui font notre félicité
Le plus divin, pour nous, n’est pas notre beauté
Mais notre embrasement. Nous sommes, par essence,
Des fournaises d’encens, des brasiers dévorants,
Des fleuves de ferveur, d’impétueux torrents
De charité, d’ignition, d’incandescence.
Homme ! notre symbole éclatant c’est le feu ;
Il dirige toujours, vers le firmament bleu,
Sans descendre jamais, ses grandes ailes claires.
Regarde-le, terrible et rouge, s’élançant
Sur les cités, sur les forêts, en mugissant ;
Regarde le Vésuve exhalant ses colères
Vers le sombre zénith où, dans les profondeurs,
Les soleils flamboyants fulgurent. Ces ardeurs,
Près des nôtres, ne sont que des glaciers polaires.
À l’aurore des temps, à l’heure où les maudits
Plus vite que l’éclair tombaient du paradis,
Nous, par un choix subit et libre, nous aimâmes !
Depuis ce jour, voici notre destin sacré :
Perpétuer, en nous, l’incendie adoré,
Propager, hors de nous, ses triomphantes flammes,
Aimer de plus en plus, aimer ! aimer ! toujours !
Brûler d’amour et provoquer autant d’amours
Que la terre et le ciel comptent d’anges et d’âmes !
Cte A. de CARNÉ.
Paru dans Les Causeries en 1927.