À ma filleule
MARIE-ÉLISABETH-JOSÉPHINE DE BALESTRIER.
De l’éternelle rive,
De la plaine des cieux,
Voyez, il nous arrive
Un hôte gracieux
De la cité des anges
Vers nous il prit l’essor....
Enveloppez de langes
Cet ange aux ailes d’or.
À l’aspect de la terre
Qui s’offre, à son regard,
Brumeuse, nue, austère,
Il va fuir sans retard.
Liez, liez les ailes
De ce bel étranger.
En des plages nouvelles
Il s’en vint voyager.
Tu te débats, tu pleures,
Petit être charmant,
Et tu passes les heures
À crier follement
Comme ta plainte est tendre !
Ami, cher inconnu,
Tu te fis bien attendre !
Ah ! sois le bienvenu !
À loisir que je voie
Ce front limpide et pur,
Ces yeux où se déploie
Des nuits d’été l’azur.
Ô ma colombe ! écoute :
Dis que tu vas rester ;
Au cœur trop il en coûte
Quand il faut se quitter.
Dis-moi, vas-tu reprendre
Les périls du chemin ?
Ne peux-tu donc attendre
Au moins jusqu’à demain ?
Attends, rien ne te presse
De quitter nos climats.
Vois, chacun te caresse :
Enfant, ne gémis pas.
À ton père, à ta mère
Il semble, en ce beau jour,
Ô riante chimère !
T’embrasser, au retour
De quelque long voyage.
Dans un temps loin de nous
Ils virent ce visage
Si suave et si doux.
Permets que je dépose,
Afin de t’apaiser,
Sur ton sein une rose,
Et, de plus, un baiser
Sur ta si fraîche joue.
Beau petit séraphin,
Dis, veux-tu que je joue
Avec ton pied si fin ?
Ô jeune fille d’Ève !
Objet de tant d’amour,
Tu vois briller en rêve
Le céleste séjour
Pour te plaire, ô chérie !
Et pour te consoler,
Du doux nom de Marie
Nous allons t’appeler.
Je le sais, voyageuse,
La région du ciel
N’était pas nuageuse,
Et de lait et de miel
Y coulait un long fleuve ;
Mais, enfin, que veux-tu ?
Dieu veut mettre à l’épreuve
Ton amour, ta vertu.
Ici, du bien suprême
On goûte les douceurs,
Et comme au ciel on aime
Ses frères et ses sœurs
Dans nos yeux le sourire,
Le bonheur sur nos fronts,
Tout est là pour te dire :
Vierge, nous t’aimerons.
Tu seras de ta mère
Et la joie et l’orgueil
Dans cette vie amère,
De tristesse et de deuil,
Sera-t-elle en souffrance,
Elle te sourira,
Et soudain l’espérance
Dans son cœur renaîtra.
Ton père, bon et tendre,
De son trésor est fier ;
Il me semble l’entendre :
Bel ange éclos hier,
Ô ma fille ! ô Marie !
Dans le champ des élus,
Là-haut, dans la patrie,
Est-ce qu’on t’aimait plus ?
Ce chant te plaît, te touche.
Des mots mystérieux
Ont coulé de ta bouche
De la langue des cieux
Je serai l’interprète ;
Tu dis : je resterai.
Oh, pour tous quelle fête !
Mère, n’est-il pas vrai ?
Belle et chère habitante
Des célestes lambris,
Là près, dresse ta tente,
Tes pavillons fleuris.
Dans cette hôtellerie,
Où l’homme un jour s’assied,
Sur la terre, ô Marie !
Pose ton joli pied.
Ô délices ! ô rêve !
Que ce spectacle est beau !
Vois, le soleil se lève.
Quel splendide flambeau !
Il monte, il monte encore.
Il s’abreuve des pleurs
De l’ineffable aurore ;
Il réjouit les fleurs.
Vois le printemps renaître,
Les îles reverdir,
Les agneaux qui vont paître
Dans les sentiers bondir....
La nuit étend ses voiles....
Vois, dans le firmament,
La lune, les étoiles.
Oh, quel enchantement !
Entends-tu l’hirondelle ?
De sa plus douce voix,
Petite, elle t’appelle,
Perchée au haut des toits.
Avec elle converse,
Et dis-lui tes secrets,
Pendant que l’on te berce
Sous cet ombrage frais.
Riez, riez, filleule,
Aux lèvres de vermeil.
Dans les bras de l’aïeule
Prenez votre sommeil.
Après votre doux somme,
Aimable nourrisson,
Vous aurez une pomme,
Un conte, une chanson.
Vous voilà bien changée :
Vos larmes ont tari ;
Votre face affligée
À la fin a souri.
Heureuse en votre couche,
Dans vos joyeux élans,
Vous portez à la bouche
Vos petits souliers blancs.
Eh ! vous faites la folle :
Vous riez aux éclats ;
Sur la moquette molle
Vous prenez vos ébats
Ardente est votre joue,
Et quand nous vous parlons,
Vous nous faites la moue.
Soyez plus grave, allons !
À vivre tout t’invite ;
Mais, les jours du berceau,
Enfant, s’écoulent vite.
Il vient un temps nouveau :
Alors l’orage gronde ;
Un vague ennui nous prend
Dans le désert du monde,
Et nous allons pleurant.
Aux souffrances sois prête.
Hélas, si tu savais !
Pour un seul jour de fête,
Combien de jours mauvais !
Si plus tard, ô Marie !
Tes yeux avaient des pleurs,
Dans le silence prie
Pour calmer tes douleurs.
Du ciel, le Christ se penche,
Amoureux, languissant,
Pour voir ta robe blanche,
Et ton cœur innocent.
Gentille sœur que j’aime,
Ah ! préfère toujours
La robe du baptême
Aux plus brillants atours.
Ne va pas, mon cher ange.
Un jour, t’en dépouiller ;
Ne va pas, dans la fange,
La ternir, la souiller :
En allant dans la voie,
Relève les longs plis
De ta robe de soie,
Blanche à l’égal du lis.
Ah ! ta petite amante,
Ai-je dit au Seigneur,
Si vive, si charmante,
Te gardera son cœur ;
À jamais elle est tienne,
Et tu peux la bénir,
J’ai promis, ô chrétienne !
C’est à toi de tenir.
Ne me rends point parjure
Fais-foi belle et grandis
Mais, avant tout, sois pure
Rose du paradis.
Sois aimable, sois sage ;
Que toujours la pudeur
Siège sur ton usage
Rayonnant de candeur.
D’une modeste grâce
Que ton front soit voilé.
Souvent tourne la face
Vers le ciel étoilé :
C est là qu’est la patrie.
Là tu retourneras ;
De la Vierge Marie
Là t’attendent les bras.
Assise sur la mousse.
Dans les bocages verts,
Un jour, de ta voix douce,
Tu rediras ces vers.
Que ta belle paupière
Au ciel s’élève alors.
Et fais une prière
Pour prix de mes accords.
De Bourg Saint-Andéol,
le 18 février 1857.
Joseph CARSIGNOL.
Paru dans La Muse des familles en 1857.